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L'oenoparc des Celliers de Sion a été construit illégalement, tranche un juriste

En Valais une œnothèque a été construite de manière illicite dans une zone agricole protégée
En Valais une œnothèque a été construite de manière illicite dans une zone agricole protégée / 12h45 / 1 min. / le 25 mai 2023
Selon un avis de droit très attendu, l'oenoparc des Celliers de Sion, à la sortie est de la capitale valaisanne, n'aurait jamais dû être construit dans une zone agricole protégée. Le bâtiment a été remis en conformité pour être davantage une cave et un lieu de dégustation qu'un restaurant et un magasin.

Le concept des Celliers de Sion, présenté comme le premier oenoparc de Suisse, est né d'une collaboration entre deux grandes caves sédunoises, Bonvin (désormais aux mains du groupe Rouvinez) et Varone. Cette seconde cave était dirigée par Philippe Varone, conseiller communal devenu depuis président de la Ville de Sion.

La construction du bâtiment hors zone à bâtir et son exploitation ont régulièrement été pointées du doigt, notamment en 2019 par un postulat UDC. Le texte, accepté par le Grand Conseil, voulait savoir si un tel complexe dans cette zone était conforme au droit de l'aménagement du territoire.

Loi "gravement outrepassée"

''C'est clair que c'est une cave, il y a du vin. Mais il y avait à mon sens beaucoup plus de commercial, de réunions, un restaurant, des cuisines à l'intérieur.... Cela ne correspondait pas à l'affectation de la zone, qui est une zone agricole protégée", a expliqué jeudi dans le 12h45 de la RTS l'ancien député UDC Charles Clerc. Le Conseil d'Etat demande alors un avis de droit à Jacques Dubey, professeur ordinaire à la Chaire de droit constitutionnel de l’Université de Fribourg.

Les conclusions de ce rapport de 128 pages, obtenu par la RTS et les journaux romandes de Tamedia, ont été rendues publiques mercredi après-midi, en même temps que l'annonce de la levée de la procédure de haute surveillance (lire encadré). Elles sont accablantes pour la Commission cantonale des constructions (CCC) valaisanne, l'organe chargé de délivrer les autorisations de construire hors des zones à bâtir. Elle a "gravement outrepassé la loi en délivrant ses autorisations", peut-on y lire.

"Pour la confiance des citoyens vis-à-vis de l'Etat, c'est vraiment maladroit d'avoir laissé déraper ce dossier", juge pour sa part Charles Clerc.

Attitude "conciliante" après un refus initial

Une première demande de construction en 2011 est retoquée par la CCC pour cause de non conformité avec ce qui est exigé dans une zone agricole protégée: seul un quart de la surface brute bâtie de 1470 m2 est en effet destinée à l'exploitation agricole proprement dite, peut-on lire dans le rapport, consulté également par l'ats.

Une construction gravement et manifestement non conforme à l'affectation de cette zone

Avis de droit de Jacques Dubey, professeur ordinaire à la Chaire de droit constitutionnel de l’Université de Fribourg

Mais dès 2013, la CCC change d'avis et autorise la construction du projet en adoptant une attitude plus "conciliante". Or, cette autorisation est "déjà illégale", décrète l'avis de droit, qui note que les Celliers ont agi en certaines circonstances "en contrariété avec les règles de la bonne foi ou du droit".

"Local de préparation service" pour "cuisine"

Les Celliers ont ensuite, à plusieurs reprises, conduit la CCC à franchir un pas supplémentaire dans le sens d'une interprétation encore plus extensive du régime de la zone agricole protégée, relève aussi Jacques Dubey. Cette dynamique a conduit à une "construction gravement et manifestement non conforme à l'affectation de cette zone".

La CCC a violé la loi à un degré de gravité et de répétitivité qu'il faut considérer comme dysfonctionnel

Avis de droit de Jacques Dubey

Une fois l'autorisation initiale en poche, ils ont demandé des autorisations complémentaires en 2015, usant notamment "d'ambiguïté et d'astuce" dans les plans, par exemple en parlant d'un "local de préparation service" pour une cuisine. L'octroi de cette autorisation "réitère et aggrave les irrégularités constatées dans la décision de 2013, déjà nombreuses et importantes", estime l'expert.

Enfin, en délivrant en 2019 le permis d'utiliser partiel sans demander la mise en conformité des travaux intérieurs, la CCC "a une nouvelle fois violé la loi, à un degré de gravité et de répétitivité qu'il faut considérer comme dysfonctionnel", ajoute-t-il.

>> Ecouter aussi l'analyse de Romain Carrupt, correspondant de la RTS en Valais, dans La Matinale :

En Valais une œnothèque a été construite de manière illicite dans une zone agricole protégée
L'oenoparc des Celliers de Sion a été construit illégalement, tranche un juriste / L'analyse de Romain Carrupt / La Matinale / 1 min. / le 26 mai 2023

Sujet radio: Romain Carrupt, Flore Dussey,
Adaptation web: Vincent Cherpillod avec l'ats

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"Pas de faveurs" malgré une proximité politique

Les Celliers de Sion ont d'autant plus fait jaser que les personnes à l'origine du projet ne sont pas n'importe qui. Le bâtiment est l'oeuvre de l'architecte Pascal Varone, président de la Commission cantonale des constructions, qui s’est récusé pour ce qui concerne le dossier des Celliers. Il est aussi le cousin de Philippe Varone, actuel président de la Ville de Sion et co-propriétaire de l'oenothèque. La question du passe-droit s'est donc posée.

Selon l'auteur de l'avis de droit, toutefois, la CCC n'a pas subi de "pression politique" ou "d'instruction hiérarchique" visant à "ménager, favoriser ou privilégier" le projet. Pour lui, le revirement entre 2011 et 2013 est "sans doute à mettre en lien" avec une réévaluation de l'importance du projet pour la région ou le canton en général.

Le démenti est confirmé par Franz Ruppen, conseiller d'Etat en charge du Département de la mobilité, du territoire et de l'environnement: ''Je peux dire que dans ce dossier, il n'y a jamais eu de pression politique ou des faveurs pour les Celliers de Sion", a-t-il garanti à la RTS.

Contacté, Philippe Varone n’a pas souhaité s’exprimer. Pascal Varone, lui, a déclaré ne pas vouloir réagir à chaud.

Usage du bâtiment mis en conformité

Le bâtiment des Celliers de Sion et son utilisation ont été mis en conformité, a annoncé mercredi après-midi le gouvernement valaisan. Il a clos la procédure de haute surveillance à l'égard de la Commission cantonale des constructions (CCC). Ouverte en décembre 2021, elle avait débouché en février 2022 sur l'ouverture d'une procédure formelle de police des constructions à l’égard des Celliers de Sion.

Concrètement, les exploitants ont dû procéder à "la suppression de tout ce qui est en relation avec la préparation de mets chauds [et] au déplacement de tout le mobilier et matériel qui n’est pas en lien avec l’exploitation agricole". Ils ont aussi dû mettre en place "un concept de dégustation de vins distinct de celui d’un établissement public", note le canton.

L'établissement n'a donc plus le droit d'offrir certains services, mais il pourra continuer l'essentiel de ses activités.