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Des régies demandent aux futures locataires si elles sont enceintes

Une femme enceinte est assise à un bureau. Elle regarde l'écran de son ordinateur tout en se tenant le ventre avec ses mains. [Depositphotos - Samanyuk]
Des régies demandent aux futures locataires si elles sont enceintes / On en parle / 11 min. / le 19 janvier 2024
"Êtes-vous enceinte?" Une question délicate que certaines régies immobilières ne se gênent pas de poser à de potentielles locataires. L’émission On en parle a mené l’enquête pour déterminer si cette pratique est légale.

Imaginez: en pleine recherche d'appartement, un couple trouve le logement idéal pour télétravailler et fonder une famille, en plein centre-ville de Genève et avec un loyer plutôt raisonnable pour le marché. Mais en complétant le formulaire de la régie avec les informations et les documents usuels, une demande les étonne: un éventuel "certificat de grossesse". Ils contactent l'émission On en parle à ce sujet.

"Pas obligatoire, mais un avantage"

Face à cette découverte, les recherchistes de l’émission épluchent les formulaires en ligne des régies genevoises et romandes. En excluant les coopératives et les loyers subventionnés, deux régies demandant un certificat de grossesse ont été trouvées: la régie Bordier-Schmidhauser et la régie Edouard Brun, toutes les deux basées à Genève.

On en parle a contacté les deux entreprises mais seule la régie Edouard Brun a répondu: "Pour certaines typologies de logement (dès 4 pièces, soit deux chambres), compte tenu de la pénurie et de la difficulté que certains foyers ont pour se loger, en principe l'avantage est donné à des familles avec enfants. Dans le cas d’un enfant à naître, pour ne pas pénaliser le ménage en question, ce document est demandé."

Si le certificat de grossesse n’est pas une obligation pour la régie, le directeur général adjoint Mirko Coladomenico précise tout de même qu'"à critères équivalents, un dossier complet pourrait être favorisé".

Également contacté par On en parle, Thierry de Haan, président de la section genevoise de l’USPI, l’Union suisse des professionnels de l’immobilier, est surpris. Il répond ne pas vraiment voir de sens à la démarche sur le marché libre, ni comprendre pourquoi un propriétaire se mettrait ainsi inutilement en difficulté. Il "n'avait pas non plus connaissance de ce genre de pratique", ajoute-t-il dans un mail.

Une information considérée ultra-sensible 

Selon Christian Dandrès, avocat auprès de l’ASLOCA à Genève et conseiller national (PS/GE), demander un certificat de grossesse n’est pas acceptable. "La loi pose un cadre clair: la personnalité des locataires doit être préservée. Il y a donc une dimension de consentement, qui doit être libre. Or, dans un contexte de grave pénurie de logements, le logement étant une nécessité vitale, il n’y a pas de liberté pour le locataire de fournir ou non ce document, puisqu'à dossier équivalent, on va préférer celui de la personne ayant fourni cette donnée ultra-sensible", explique-t-il lors de l'émission On en parle.

De plus, l’avocat précise que selon la loi, la collecte d’informations de la régie doit se limiter aux informations pertinentes pour la conclusion d’un contrat. "Il s’agit de la solvabilité de la personne et du nombre de personnes vivant dans le logement. Le casier judiciaire, le dossier médical ou le versement de pensions alimentaires ne sont pas des informations pertinentes. Dans le cas de l’obtention de ces informations, les régies devraient les détruire ou les restituer."

Si l’on en croit la régie interrogée, la demande du certificat de grossesse part d’une bonne intention: favoriser les familles dans un contexte de pénurie. "La dimension de bonne foi est aussi mentionnée par la loi, mais le fait que la régie souhaite accorder l'appartement aux personnes qui en ont le plus besoin ne lui donne pas le droit de demander des documents comme un certificat médical de grossesse, qui sont des données ultra-sensibles", conclut Christian Dandrès. Autre point important: les locataires ont le droit de ne pas dire la vérité si le bailleur demande des données non pertinentes pour le contrat.

Sujet radio: Mathieu Truffer

Adaptation web: Myriam Semaani

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