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A Fribourg, des alcooliques sont convertis en brasseurs d'un jour

Alcoolisme: travailler dans une brasserie pour réduire sa consommation
Alcoolisme: travailler dans une brasserie pour réduire sa consommation / Mise au point / 11 min. / le 12 mars 2023
Le Tremplin à Fribourg a lancé, il y a quelques années, un projet inédit et provocateur. Au lieu de bannir l'alcool comme dans les autres centres d'accueil de jour, la bière est brassée par les personnes dépendantes et vendue sur place. L'idée pourrait être imitée hors des frontières suisses.

A Pensier dans la campagne fribourgeoise, Stéphane, brasseur professionnel, accompagne une fois par semaine des bénéficiaires du Tremplin ou d'autres institutions du canton de Fribourg.

Romain est l'un d'entre eux. Le quadragénaire est conscient du paradoxe: il brasse de la bière, alors qu'il cherche à en boire moins. "Grâce au travail, j'y arriverai. Lors des quinze derniers jours, je n'ai presque rien bu", témoigne-t-il dimanche dans l'émission Mise au point de la RTS.

L'activité permet aux personnes dépendantes de changer leur rapport à l'alcool. "Quand ils font leur propre bière, ils se rendent compte que faire une bière, c'est du boulot. On s'assoit pour la boire, on ne la décapsule pas avec les dents... et cul sec", explique Stéphane.

En moyenne, 110 litres de la Trampoline, nom de la bière du Tremplin, sortent chaque semaine de la brasserie artisanale.

Eviter l'interdiction

"Dès que les drogues, dont l'alcool, sont devenues un problème, la seule réponse amenée était l'interdiction", rappelle le directeur de la Fondation Le Tremplin Nicolas Cloux.

"Notre expérience nous montre que l'interdiction n'amène rien, les personnes vont simplement consommer en cachette. Ainsi, au lieu de lutter contre le produit, nous allons travailler avec, en proposant un produit de qualité", explique-t-il.

Pour anticiper les critiques d'une telle démarche, la Fondation Le Tremplin a commandé une étude à Marc-Henri Soulet, professeur à l'Université de Fribourg et auteur de nombreux ouvrages sur l'exclusion sociale.

"Il ne faut pas imaginer que cela va faire cesser la consommation. D'ailleurs, ce n'était pas l'objet du projet, dit-il. (...) Ce qui importe, c'est d'encadrer la consommation pour qu'elle ne soit pas problématique pour les personnes et la collectivité. Je pense que le résultat est atteint, même si les effets sur la santé des personnes dépendantes ne sont pas immédiats."

Pas de tous les goûts

L'expérience fribourgeoise séduit. "A notre connaissance, nous sommes les seuls à l'avoir fait. (...) En revanche, nous savons qu'elle intéresse beaucoup de monde, même à l'étranger. Des projets similaires ou ressemblants sont en train d'être mis sur pied", annonce Nicolas Cloux.

Le succès est au rendez-vous, du moins sur le papier. La bière la Trampoline, seul alcool vendu au centre d'accueil du Tremplin, se vend bien, notamment grâce au prix très bas de 50 centimes. Une fois dans les verres, les cuvées ne font pas toutes l'unanimité.

"Des clients l'apprécient. D'autres un peu moins", observe Juliette, stagiaire au centre d'accueil du Tremplin. La brasserie expérimente donc de nouvelles saveurs pour satisfaire cette clientèle exigeante.

Loïc Delacour/vajo

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