Publié

En Pologne, l'interdiction de l'avortement met la santé des femmes en danger

Des personnes participent à une manifestation sous le slogan "Pas un de plus" à Cracovie, en Pologne, le 7 novembre 2021. [EPA/KEYSTONE - LUKASZ GAGULSKI POLAND OUT]
Pologne, un an après la quasi-interdiction de l'avortement / Tout un monde / 4 min. / le 1 février 2022
En Pologne, les femmes enceintes sont confrontées à des difficultés extrêmes pour accéder à l'avortement légal depuis qu'une décision du Tribunal constitutionnel a quasiment interdit cette pratique il y a un an.

Dans un pays aux lois déjà très restrictives, l'interdiction de l'avortement en cas de grave malformation du foetus peut aller jusqu'à mettre en péril la santé ou la vie des mères, dénoncent des organisations de défense des droits humains.

Amnesty International, Human Rights Watch, l'Organisation mondiale contre la torture et plusieurs autres ONG ont publié une déclaration commune un an après l'entrée en vigueur des nouvelles restrictions.

Peur des médecins

Parmi ces cas tragiques, il y a celui d'Agnieszka, une Polonaise de 37 ans décédée des suites d'un refus d'avortement le 25 janvier dernier.

Enceinte de jumeaux, la jeune femme avait dû garder dans son utérus un fœtus mort pendant sept jours. Les médecins refusaient d'intervenir tant que l'autre vivait encore. Pour sa famille, il s'agit ni plus ni moins d'une conséquence directe de la nouvelle loi sur l'avortement, décidée par le Tribunal constitutionnel il y a tout juste un an.

Selon notre gouvernement, un foetus compte plus qu’une femme enceinte

Magda, militante polonaise pour le droit à l'avortement

Magda, directrice de théâtre de 32 ans interrogée mardi pour Tout un monde, partage ce point de vue: "À cause de cette loi, les médecins ont peur de finir en prison s'ils pratiquent un avortement à une femme qui en a besoin de manière vitale", se désole la jeune femme, estimant que son gouvernement a introduit une "loi cruelle", selon laquelle "un foetus compte plus qu'une femme enceinte".

L'année dernière, des milliers de Polonais avaient déjà manifesté quand une femme de 30 ans était décédée de septicémie à la suite de la mort de son foetus.

>> Lire aussi : Manifestations massives en Pologne après la mort d'une femme non avortée

Avortements à l'étranger

L'avortement pour grave malformation du foetus représentait, avant la nouvelle loi, environ 98% des avortements réalisés en Pologne. Dans les locaux de Federa, la Fédération des femmes et du planning familial, la militante Antonina se tient près du téléphone pour répondre aux femmes en détresse. En un an, l'association a reçu près de 15'000 appels à l'aide et plus de 25'000 e-mails.

La militante raconte: "Quand une femme appelle après avoir reçu un diagnostic de malformation du foetus, on s'informe d'abord sur ce que dit exactement le rapport médical". Ensuite, plusieurs options sont présentées à la femme enceinte. "Elle peut soit interrompre sa grossesse à l'étranger, soit le faire de manière sûre chez elle avec des pilules abortives provenant généralement des Pays-Bas. Elle peut également essayer d'interrompre sa grossesse dans un hôpital polonais."

>> Lire aussi : En Pologne, un projet de registre des grossesses suscite la polémique

Dans ce dernier cas, l'ONG met en avant le fait que l'avortement en Pologne reste légal, théoriquement, en cas de danger pour la vie et la santé de la femme. Or, poursuivre une grossesse en cas de grave malformation du foetus est une lourde menace pour la santé mentale de la femme enceinte, souligne l'association qui oriente donc les femmes vers des psychiatres.

La plupart du temps, ces femmes sont presque incapables de parler. Elles pleurent, elles ont peur de ce qui va leur arriver

Aleksandra, psychiatre en Pologne

C'est notamment le cas d'Aleksandra. Peu de temps après la décision du Tribunal constitutionnel l'an dernier, elle a vu affluer dans son cabinet des femmes en détresse. "La plupart du temps, elles pleurent et sont presque incapables de parler. Elles ont peur de ce qui va leur arriver", raconte la psychiatre.

Une loi qui paralyse les médecins

À ces femmes, elle remet un certificat à présenter à l'hôpital pour demander un avortement. Mais tous les établissements n'acceptent pas le papier. Car le durcissement de la loi a eu un effet paralysant sur les médecin.

"Parfois, les hôpitaux ont juste besoin d'une petite impulsion pour les informer de la réalité de la situation en Pologne. Et souvent, ils sont surpris d'entendre qu'ils peuvent exercer un avortement légalement dans cette situation précise", explique Antonina, de l'ONG Federa.

>> Lire aussi : En Pologne, un projet de registre des grossesses suscite la polémique

Soutien des ONG

Selon les organisations, plus de 1000 Polonaises se sont déjà tournées vers la Cour européenne des droits de l'Homme pour contester la loi. Depuis un an, l'ONG Avortement sans frontière a aidé près de 35'000 Polonaises à avorter, en Pologne, grâce à des pilules abortives, ou à l'étranger.

Avant même le durcissement de la loi, moins de 2000 avortements légaux étaient pratiqués chaque année en Pologne, tandis que 200'000 autres femmes interrompaient leur grossesse de manière illégale ou à l'étranger, selon des associations de femmes.

>> Regarder aussi le reportage du 12h45 sur la mobilisation contre l'interdiction de l'avortement :

Pologne: la mobilisation continue contre l'interdiction de l'avortement.
Pologne: la mobilisation continue contre l'interdiction de l'avortement après la décision de la cour constitutionnelle. / 12h45 / 1 min. / le 28 janvier 2021

Sujet radio: Sarah Bakaloglou

Adaptation web: Hélène Krähenbühl

Publié