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Marine Le Pen ou Emmanuel Macron, pourquoi ils séduisent les Français

Donnés en tête des sondages sur le premier tour de l'élection présidentielle française, Marine Le Pen et Emmanuel Macron incarnent deux visages d'un même phénomène: la défiance envers les partis traditionnels. Décryptage.

Un médecin désabusé, un jeune de banlieue parisienne, les gérants gays d'une chambre d'hôtes en Bourgogne ou encore la tenancière d'un café de Calais en faillite...

Au-delà de leurs différences, ces électeurs français s'apprêtent à voter pour l'extrême droite en avril-mai 2017 et ils s'en expliquent de façon tout à fait décomplexée dans le documentaire "La tentation du FN, les nouveaux électeurs de Marine Le Pen", diffusé lundi soir par la RTS (à revoir pendant 30 jours):

La tentation FN, les nouveaux électeurs de Marine Le Pen

"Si Marine Le Pen est aussi performante, et pas seulement auprès des gens peu éduqués, c'est lié au changement de discours qu'elle a opéré depuis 2012, en proposant des réponses simples à ceux qui se sentent abandonnés face à la mondialisation ou dans les zones péri-urbaines", observe le politologue Martial Foucault, qui dirige le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).

Cette stratégie a été payante au vu de la percée du FN qui est passé de 18,3% des suffrages au premier tour de la présidentielle de 2012 à 28,4% au premier tour des régionales de 2015.

Mais à qui le Front national a-t-il pris ces voix? A 60% des partisans de la droite et du centre, dont de nombreux électeurs de Nicolas Sarkozy en 2012, et à plus d'un quart d'électeurs de la gauche (dont 18% des électeurs de François Hollande), selon des statistiques publiées en janvier 2016 par le Cevipof.

Le vote populaire change de camp

D'un point de vue sociologique, et selon cette même source, ces nouveaux électeurs incarnent un élargissement de la base électorale habituelle du Front national vers un électorat un peu plus féminin, un peu plus âgé et un peu plus instruit.

Malgré cette évolution, Marine Le Pen doit toutefois encore compter sur un électorat composé à un tiers (37%) d'ouvriers et d'employés. C'est plus que Jean-Luc Mélenchon, candidat de la gauche de la gauche.

Cela démontre d'une part que le changement de paradigme que Marine Le Pen a réussi à opérer au sein du FN a fonctionné et, d'autre part, que les gauches ne parviennent plus à agréger le vote des classes populaires. Le phénomène - s'il n'est pas nouveau - s'amplifie: en 2002, 43% des ouvriers et 39% des employés votaient à gauche, note le Cevipof.

* A noter: s'ils représentent un électeur français sur trois, et donc un enjeu considérable pour tous les candidats, les retraités ne peuvent pas être considérés comme un électorat homogène

Le mal-être, un ressort du vote FN

L'examen des intentions de vote par catégories socioprofessionnelles confirme également cette tendance: 42% des ouvriers qui pensent aller voter au premier tour de l'élection présidentielle le 23 avril s'apprêtent à voter Front national contre 14,3% des cadres et autres catégories supérieures.

"Avec son discours populiste qui oppose les élites, les classes possédantes, aux gens ordinaires, Marine Le Pen a fait du niveau de mal-être objectif et subjectif de toute une frange de la société française un des ressorts du vote FN", analyse Martial Foucault. En fait, ce n'est pas la peur qui domine ses partisans, mais la colère, insiste-t-il.

L'ère de la contre-démocratie

Pour expliquer cette désaffection à l'égard des partis traditionnels, qui dirigent la Ve République en alternance, le politologue évoque l'incapacité de la gauche comme de la droite "à incarner un imaginaire collectif dans lequel les électeurs peuvent se projeter". "La défiance à leur égard pousse les électeurs à aller vers l'alternative que représentent tant Marine Le Pen qu'Emmanuel Macron", note Martial Foucault.

Ce phénomène, désigné sous le nom de contre-démocratie par le sociologue français Pierre Rosanvallon, consiste à voter contre un candidat plutôt qu'à voter pour.

Emmanuel Macron est le réceptacle d'un électorat de gauche de moins en moins de gauche

Martial Foucault, politologue

"Le vote Macron est un vote par défaut. Il est le réceptacle d'un électorat de gauche qui est de moins en moins de gauche et qui ne se retrouve pas dans la ligne électorale défendue par le socialiste Benoît Hamon", commente Martial Foucault.

Paradoxalement, alors que l'électorat de ces deux candidats issus du gouvernement de François Hollande a une composition similaire ratissant notamment dans les catégories socioprofessionnelles supérieures (cadres, professions intellectuelles, etc.), le chef de file du mouvement "En Marche!" convainc davantage sur les plans de l'économie et de la politique européenne que le candidat issu de la primaire socialiste.

Une marge d'incertitude

"Au fond, Emmanuel Macron peut s'appuyer sur un électorat centriste inconnu de la vie politique française", indique Martial Foucault. De la même façon qu'un François Bayrou avait pu obtenir 17% des suffrages en 2007 en gagnant les voix des électeurs de gauche hostiles à Ségolène Royal, l'ex-ministre de l'Economie bénéficie de la méfiance à l'égard du programme de Benoît Hamon.

Sur sa droite, il peut en outre compter sur le soutien de l'électorat qui était prêt à voter pour un Alain Juppé plus modéré et moins conservateur que le candidat de la droite et du centre, François Fillon.

En termes d'intentions de vote, une grande incertitude demeure toutefois quant au score que pourrait faire le représentant des Républicains à la présidentielle, met en garde Martial Foucault. L'abstentionnisme, notamment, s'annonce élevé le 23 avril prochain.

Juliette Galeazzi

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Un dispositif de recherche inédit pour la présidentielle 2017

De novembre 2015 à juin 2017, le Cevipof, qui est un laboratoire français de référence pour l'étude des attitudes politiques et l'analyse du comportement électoral, déploie un dispositif inédit de recherche, avec le soutien du ministère français de l'Intérieur, appelé l'Enquête électorale française dans la perspective de l'élection présidentielle de 2017.

En partenariat avec IPSOS et Le Monde, un panel de 25'000 Français, un autre de 1000 jeunes de 16 à 18 ans et un dernier de 2500 personnes non inscrites sur les listes électorales a été interrogé seize fois en vingt mois.