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Pourquoi les ambassades sont-elles, en principe, inviolables?

La police équatorienne a arrêté un ancien vice-président dans l'ambassade mexicaine. [Keystone/AP Photo - Dolores Ochoa]
Pourquoi une ambassade est-elle inviolable? / Tout un monde / 8 min. / le 10 avril 2024
Si de rares cas d'intrusion existent, les autorités d'un pays ne peuvent pas pénétrer sans autorisation dans les ambassades situées sur leur sol. Quelles règles régissent ces sites diplomatiques et pourquoi sont-ils, en théorie, inviolables? L'émission Tout un monde s'est penchée sur la question.

Vendredi dernier, des policiers ont fait irruption à l'intérieur de l'ambassade mexicaine en Equateur pour arrêter l'ancien vice-président Jorge Glas qui s'y était réfugié. L'événement a provoqué une crise diplomatique, le Mexique annonçant dans la foulée rompre ses relations avec le pays sud-américain.

>> Lire à ce sujet : Le Mexique rompt ses relations diplomatiques avec l'Equateur

Selon le droit international, les autorités d'un pays ne peuvent pas pénétrer sans autorisation dans les ambassades situées sur leur territoire. L'intrusion de la police équatorienne contrevient ainsi à la Convention de Vienne, conclue en 1961, qui règle les relations diplomatiques et stipule que les ambassades sont inviolables.

Les autorités équatoriennes soutiennent que Mexico s'est ingéré dans les affaires intérieures du pays en accordant l'asile à Jorge Glas, accusé de corruption. Le président mexicain Andrés Manuel López Obrador a de son côté dénoncé un "acte autoritaire" que "même Pinochet ou d'autres n'avaient pas osé faire". Il a annoncé que le Mexique allait saisir la Cour internationale de justice (CIJ).

De rares intrusions

Les cas d'intrusion restent très rares, mais ne sont pas totalement nouveaux. En 1979, par exemple, des manifestants iraniens ont pris d'assaut la mission américaine à Téhéran et retenu en otage une cinquantaine de personnes pendant plus d'une année.

Le pays hôte peut déclarer persona non grata un membre d'une ambassade et lui demander de quitter le pays

Sylvie Hofer-Carbonnier, cheffe de section à la Direction du droit international public du DFAE

L'ambassade suisse en Haïti a également connu une intrusion, toutefois plus anecdotique: en 2014, un collaborateur a vu débarquer des membres de la garde rapprochée du président haïtien de l'époque, Michel Martelly, lui demandant d'accéder au toit du bâtiment afin d'assurer la sécurité du dirigeant qui se rendait dans l'église d'à côté, raconte Sylvie Hofer-Carbonnier, cheffe de section à la Direction du droit international public (DDIP) rattachée au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), dans l'émission Tout un monde.

Leur requête a fini par être acceptée, mais l'ambassade a réagi par la suite en précisant qu'une autorisation, demandée au préalable, était nécessaire pour pénétrer dans l'enceinte diplomatique, peu importe la raison, et qu’il fallait la renouveler à chaque occasion. 

L'action des autorités limitée

Si elles ont des règles diplomatiques qui leur sont propres, les ambassades ne peuvent pas être considérées comme des bouts de territoire du pays auquel elles appartiennent, le principe d’extraterritorialité ne s’applique pas. Elles doivent respecter la législation du pays hôte. Mais en cas d'incident, le pays hôte a besoin de l'accord de l'ambassade pour perquisitionner les locaux.

Cet accord n'est pas toujours donné. En 1984, lors d'une manifestation d'opposants au régime de Mouammar Kadhafi devant l'ambassade de Libye à Londres, des coups de feu ont été tirés, tuant une policière. Les autorités ont encerclé pendant plusieurs jours le bâtiment d'où semblaient être partis les tirs, mais le suspect et des diplomates ont finalement pu quitter le Royaume-Uni grâce à leur immunité diplomatique.

Les Etats sont conscients que maintenir des relations diplomatiques de manière indépendante est absolument nécessaire pour continuer à fonctionner ensemble

Sylvie Hofer-Carbonnier, cheffe de section à la Direction du droit international public du DFAE

Le parlement britannique a modifié trois ans plus tard sa législation afin de pouvoir lever, dans certains cas, le principe d'inviolabilité des ambassades. Londres n'a néanmoins pas réellement intérêt à mettre en application ces exceptions, en raison du principe de réciprocité.

Des privilèges diplomatiques

L'immunité du personnel diplomatique est, elle aussi, garantie par la Convention de Vienne. Ce privilège accordé aux diplomates vise à les protéger, leur famille et eux, des menaces ou des pressions, pour leur permettre de faire leur travail en toute indépendance. Mais s'ils sont accusés d'un délit ou d'un crime, l'Etat hôte peut demander au pays d'origine des diplomates de lever leur immunité.

Le pays hôte peut par ailleurs "demander à l'autre Etat de rappeler son diplomate. Il peut aussi déclarer persona non grata le membre de l'ambassade, c'est-à-dire ne plus lui reconnaître la qualité de diplomate, et lui demander de quitter le pays", sans pour autant être poursuivi, explique Sylvie Hofer-Carbonnier.

Dans certains cas, des accords bilatéraux existent pour éviter que des diplomates échappent à la justice en cas d'infraction du code de la route ou d'autres délits.

La tolérance face à cette immunité a évolué depuis les années 1960. Selon Sylvie Hofer-Carbonnier, il y a aujourd'hui "plus de questionnements sur la raison d'être de ces privilèges et immunités". "Les Etats sont cependant aussi conscients que permettre le maintien des relations diplomatiques de manière la plus indépendante possible est absolument nécessaire pour continuer à fonctionner ensemble", note-t-elle.

Des pressions systématisées

Lever ce principe d'immunité contiendrait beaucoup de risques. Dans certains pays, les intimidations et les pressions à l'encontre des diplomates sont de plus en plus fortes, comme en Russie pour les diplomates américains, selon Washington. Le secrétaire d'Etat John Kerry s'en était déjà plaint à Vladimir Poutine en 2016.

Le fait que des diplomates soient soumis à des pressions est [un phénomène] vieux comme le monde

Jean-Maurice Ripert, ancien ambassadeur de France en Russie et en Chine

Pour Jean-Maurice Ripert, auteur du livre "Diplomatie de combats" et ancien ambassadeur de France en Russie et en Chine entre 2013 et 2019, le fait que des diplomates soient soumis à des pressions est un phénomène "vieux comme le monde". Il reconnaît toutefois que cela s'est systématisé ces dernières années en Russie et en Chine. "Il arrivait qu'on me convoque à 11 heures du soir ou qu'on convoque l'un de mes collaborateurs à minuit pour se voir recevoir une leçon de morale diplomatique ou se faire expliquer des choses extrêmement désagréables, afin de déstabiliser l'ambassade", raconte l'auteur.

"Il y a aussi des pratiques de suivis et d'écoutes, le développement des technologies modernes fait que c'est plus facile qu'auparavant. En Chine, par exemple, des images disparaissent des téléphones. Et puis il y a le phénomène des employés locaux [travaillant dans les ambassades étrangères] qui font l'objet de pressions terribles de la part des services, qui les démarchent parfois pour demander des nouvelles de leur famille restée dans les villages, faisant planer une forme de menace s'ils ne trahissent pas un certain nombre [d'informations]. Tout cela rend la vie assez difficile et rend le fonctionnement des ambassades un peu compliqué", souligne Jean-Maurice Ripert.

Les fermetures d'ambassades dans d'autres régions du monde sont aussi un signe que la situation sécuritaire est critique ou que les relations bilatérales sont fortement dégradées, à l'instar de la France qui, après le putsch au Niger, a fini par fermer début janvier son ambassade dans le pays africain, comme elle l'avait fait au Soudan.

Isabelle Cornaz/iar

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