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Pourquoi ce qui se joue entre la Chine et les Philippines n'est pas qu'une question militaire

Des manifestants philippins défilent vers l'ambassade américaine lors d'un rassemblement de protestation à Manille, aux Philippines, le 11 avril 2024. [EPA/ Keystone - Francis R. Malasig]
Ce qui se joue en Mer de Chine du Sud n’est pas que militaire / Tout un monde / 5 min. / le 12 avril 2024
Le tout premier sommet trilatéral entre les dirigeants des Etats-Unis, du Japon et des Philippines s'est tenu jeudi à Washington. Objectif: sceller la montée en puissance de la coopération de ces trois pays face à la Chine. Mais le renforcement militaire ne serait pas l'unique solution pour contrer la mainmise de la Chine en Asie-Pacifique.

Dans un avertissement clairement destiné à Pékin, Joe Biden s'est engagé jeudi à défendre les Philippines en cas "d'attaque" en mer de Chine méridionale. Il s'exprimait lors d'un sommet inédit avec les dirigeants japonais et philippin.

Le président américain a déclaré que "toute attaque contre un avion, un navire ou les forces armées philippines en mer de Chine méridionale déclencherait la mise en oeuvre du traité de défense mutuelle" qui lie Washington et Manille. Il a également évoqué l'objectif partagé d'une zone Asie-Pacifique "libre, ouverte, prospère et sûre".

Une confrontation militaire encore abstraite

Que ce soit à travers le tir de canons à eau, les collisions volontaires ou encore des manœuvres dangereuses, les incidents se multiplient autour de récifs contestés au large des Philippines. La Chine, qui revendique la quasi totalité de la mer de Chine du Sud, envoie les imposants navires de ses garde-côtes entraver le ravitaillement de troupes philippines basées dans la zone. Les récents accrochages alarment de nombreux experts, inquiets d'un dérapage potentiellement lourd de conséquences.

Sans jamais recourir à la force militaire, la Chine tente de s'imposer comme la grande puissance

Peter Layton, chercheur en stratégie militaire et ancien conseiller du Pentagone

Interrogé vendredi dans l'émission Tout un monde de la RTS, Peter Layton, chercheur en stratégie militaire et relations internationales à l'Institut Griffith de Sydney, salue le front commun affiché face à Pékin mais estime que l'impact concret de ce rapprochement reste encore incertain.

"Je ne pense pas que ce soit vraiment pertinent. Le jeu se joue sur deux niveaux. Certes, il y a, d'une, part la lutte militaire, les alliances entre superpuissances, mais cette confrontation militaire reste abstraite. En Asie du Sud-Est, le jeu se situe à un niveau inférieur. Sans jamais recourir à la force militaire, la Chine tente de s'imposer comme la grande puissance", explique-t-il.

>> Lire aussi : Philippines et Etats-Unis s'exercent en mer de Chine, Pékin envoie des patrouilles

Zone grise

Washington, Pékin et Manille répondent par une solution militaire face à une action plus nuancée. La Chine n'intervient pas via son armée, précisément pour éviter de légitimer une intervention militaire de la part de ses adversaires. Elle cherche à faire pression sans déclencher de conflit dont elle ne veut pas.

 La Chine exploite une stratégie de coercition qui n'est pas militaire, c'est une zone grise

Peter Layton, chercheur en stratégie militaire et ancien conseiller du Pentagone

L'objectif de la Chine, avant d'accaparer des ressources naturelles ou de contrôler une zone maritime stratégique primordiale, est d'avoir les mains libres dans sa zone d'influence. Elle s'impose de deux manières: d'une part en cherchant à s'attirer la sympathie des pays de la région et d'autre part en suscitant leur crainte.

"Pour ce faire, la Chine exploite une stratégie de coercition qui n'est pas militaire. C'est une zone grise. Elle recourt à ses garde-côtes et à des milices civiles pour provoquer des confrontations au terme desquelles elle s'impose face aux autres Etats d'Asie du Sud", poursuit l'ancien conseiller du Pentagone.

Absence de résistance face à la Chine

Un stratégie qui s'avère efficace selon le spécialiste. "La Chine est parvenue à prendre en otage l'imaginaire des nations d'Asie du Sud-Est. Ils évitent de causer des problèmes à la Chine. Et ça, c'est exactement l'objectif de la Chine en ce moment".

Ces douze dernières années, la Chine ne s'est vu opposer aucune résistance. Les différents acteurs ont reculé, évitant d'entreprendre des actions susceptibles d'offenser Pékin. Cette stratégie d'apaisement n'a toutefois pas fonctionné. Les Chinois l'ont interprétée comme un signe de faiblesse et ont continué à accentuer leur action offensive. Les attaques aux jets d'eau autour des Philippines incarnent cette escalade. 

Il faut que la Chine prenne conscience que ses actions peuvent générer des réactions et que le vent est en train de tourner

Peter Layton, chercheur en stratégie militaire et ancien conseiller du Pentagone

Pour Peter Laton, face à cette situation, le renforcement de la coopération militaire est nécessaire, mais pas suffisant. Il préconise d'adopter au plus vite une stratégie analogue à celle de la Chine, sans toutefois recourir à la force armée dans un premier temps.  "C'est le moment ou jamais de rendre la pareille (...) Il faut que la Chine prenne conscience que ses actions peuvent générer de fortes réactions et que le vent est en train de tourner. Tout ceci dans l'espoir de stabiliser la situation".

Sujet radio: Michael Peuker

Article web: Hélène Krähenbühl avec ats

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