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Les armes imprimées en 3D suscitent l'inquiétude des experts en sécurité

Elles ressemblent à des jouets mais elles tuent: les armes imprimées en 3. [afp - Eric Lalmand]
Elles ressemblent à des jouets mais elles tuent: les armes imprimées en 3D / Tout un monde / 7 min. / le 15 avril 2024
Elles ressemblent à des jouets, mais elles tuent. Les armes imprimées en 3D, fabriquées à partir de couches successives en polymères, préoccupent de plus en plus les polices et les équipes de recherche. Pour la première fois, un vaste réseau a été démantelé au niveau européen.

Autrefois théorique, le problème des armes imprimées en 3D est désormais tangible. Fin janvier 2024, quatorze personnes soupçonnées d’appartenir à un vaste réseau autour de ces armes artisanales ont été interpellées en France et en Belgique.

Hervé Petry, chef de l’unité "cyber" de la gendarmerie nationale française, qui a piloté l'enquête, a souligné l’importance de cette étape clé dans l’évolution du trafic d’armes: "Ce qu'il faut bien comprendre dans ce dossier, (...) c'est qu'il marque une étape dans l'ubérisation du trafic d'armes."

Nous sommes passés d'armes capables de tirer un seul coup, peu fiables et susceptibles d’exploser entre les mains de leurs utilisateurs, à des armes beaucoup plus sophistiquées

Nicolas Florquin, chercheur au Small Arms Survey à Genève

Parmi les armes saisies figurent des armes hybrides, notamment des FGC9 semi-automatiques. Ces armes sont principalement constituées de pièces en polymère, auxquelles sont ajoutés des composants disponibles dans les magasins de bricolage, tels que des tubes en acier.

Une accessibilité de plus en plus aisée

Nicolas Florquin, chercheur au Small Arms Survey basé à l'Institut de hautes études internationales et du développement à Genève, a expliqué cette semaine dans l'émission de la RTS Tout un monde l’ampleur de l’évolution de cette technologie au cours de la dernière décennie: "Nous sommes passés d'armes capables de tirer un seul coup, peu fiables et susceptibles d’exploser entre les mains de leurs utilisateurs, à des armes beaucoup plus sophistiquées qui se rechargent automatiquement."

L'expert ajoute également que leur accessibilité est de plus en plus facile, en grande partie grâce à la disponibilité et à la démocratisation des imprimantes 3D.

Un phénomène encore difficile à quantifier

Selon les spécialistes, l’ampleur du phénomène est difficile à quantifier, en raison de l’absence de statistiques. Cependant, des chiffres provenant de rapports de police et de médias permettent d’éclairer quelque peu la situation. Une étude publiée en mars par des chercheurs suisses a recensé environ 180 cas dans le monde au cours des dix dernières années.

A terme, les criminels pourraient produire eux-mêmes leurs armes, évitant ainsi de s'exposer en cherchant à acquérir des armes sur le marché criminel local

Nicolas Florquin, chercheur au Small Arms Survey à Genève

La plupart de ces cas sont apparus lors de saisies ou de perquisitions liées notamment au trafic de stupéfiants. Les incidents dans lesquels ces armes ont été utilisées pour commettre des meurtres sont rares, mais en augmentation, observe Oliver Delémont, coauteur de l'étude et professeur en sciences forensiques à l’Ecole des sciences criminelles de l’Université de Lausanne: "On en est à deux ou trois pour l'instant."

Les dangers et les craintes

Selon Nicolas Florquin, l'intraçabilité de ces armes par les techniques traditionnelles, notamment en raison de l'absence de numéros de série, est particulièrement inquiétante.

"A terme, les criminels pourraient produire eux-mêmes leurs armes, évitant ainsi de s'exposer en cherchant à acquérir des armes sur le marché criminel local. Cela représente un défi majeur pour les forces de police et de renseignement qui doivent adapter leurs stratégies pour détecter ce type d’acquisition d’armes illicites", ajoute le chercheur.

L’emploi de ces armes spécifiques bouleverse les méthodes habituelles de la police scientifique. En effet, quand ce sont des armes à feu traditionnelles qui sont utilisées, celle-ci a su développer des techniques pour extraire des informations précieuses, comme la trajectoire par exemple. Mais avec ces armes particulières, ce savoir-faire est remis en question.

Déchiffrer les indices de ces armes

"Actuellement, nous travaillons sur des morceaux de polymère pour tenter de savoir comment on peut obtenir des informations pour identifier l’imprimante et dans l'idéal remonter jusqu'à elle, ou au lieu dans lequel ces armes ont été produites", explique Olivier Delémont.

Nous devons fabriquer des armes, ce qui est interdit par la loi

Oliver Delémont, professeur en sciences forensiques à l’Université de Lausanne

L'Ecole des sciences criminelles à Lausanne est déjà en mesure de fournir une quantité substantielle d’informations sur la technologie utilisée pour la fabrication d'une arme imprimée en 3D et de décrire sommairement "le cahier des charges du système d’impression utilisé", révèle-t-il.

Des recherches uniques en Suisse

Pour mener à bien ces recherches, la production d'armes en 3D est incontournable. A cet égard, le contexte suisse se révèle particulièrement intéressant, explique Olivier Delémont: "La confiance des polices cantonales est nécessaire, (...) car nous devons fabriquer des armes, ce qui est interdit par la loi. Nous sommes pratiquement les seuls au monde à avoir ce type d'autorisation par les autorités de police". Dans de nombreux pays, c’est tout simplement impossible. Donc, pour travailler sur ce sujet, il faut enfreindre la loi.

L’attention croissante des chercheurs et des forces de l’ordre témoigne d’une préoccupation grandissante face aux armes imprimées en 3D. Europol, l’agence européenne de police criminelle, a d’ailleurs constitué plusieurs groupes de travail pour se pencher sur la question.

>> Revoir l'enquête du 19h30 en 2019 sur l'impression d'armes en 3D en Suisse :

Les armes imprimées en 3D sont interdites en Suisse. Mais il est facile de les faire fabriquer. Enquête exclusive.
Les armes imprimées en 3D sont interdites en Suisse. Mais il est facile de les faire fabriquer. Enquête exclusive. / 19h30 / 4 min. / le 7 avril 2019

Sujet radio: Pauline Rappaz

Adaptation web: Miroslav Mares

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