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L'Union européenne à la recherche des obus qui font défaut à l'armée ukrainienne

Un employé travaille sur une chaîne de production d'obus d'artillerie de 155 mm dans l'usine de la société allemande Rheinmetall, qui produit des armes et des munitions pour chars et artillerie, en Allemagne. [REUTERS - FABIAN BIMMER]
Un employé travaille sur une chaîne de production d'obus d'artillerie de 155 mm dans l'usine de la société allemande Rheinmetall, qui produit des armes et des munitions pour chars et artillerie, en Allemagne.  - [REUTERS - FABIAN BIMMER]
Depuis de longs mois, l'Ukraine se plaint d'un manque chronique d'obus. Une réalité qui l'entrave fortement dans sa lutte contre l'envahisseur russe, tant l'artillerie est capitale dans ce conflit. L'UE, qui a pris du retard dans ses promesses de livraisons, pourrait toutefois prochainement offrir à Kiev une bouffée d'oxygène.

Une ville en ruines, une retraite chaotique et la plus grande victoire russe depuis plusieurs mois. A Avdiivka (est du pays, dans l'oblast de Donetsk), les forces ukrainiennes ont dû s'avouer vaincues à la mi-février après des mois de combats acharnés et extrêmement meurtriers.

>> Relire à ce sujet : Après la perte de la ville-forteresse d'Avdiivka, l'Ukraine sur la défensive en de nombreux endroits du front

Si les raisons de cette défaite sont multiples, la plupart des soldats sortis indemnes de ce bourbier ont décrit une bataille inégale, tant la puissance de feu russe était devenue supérieure. Dans le New York Times, Shaman, un commandant du 25e bataillon d'assaut, explique que "le manque de munitions" a provoqué la chute de la ville.

Selon lui, les troupes ukrainiennes auraient pu maintenir leurs positions si elles avaient bénéficié de suffisamment d'artillerie pour frapper la logistique russe derrière la ligne de front et empêcher ainsi les renforts d'arriver.

>> Revoir également le reportage du 19h30 :

L’armée ukrainienne s’est retirée de la ville d’Avdiïvka dans l’est du pays pour des raisons stratégiques
L’armée ukrainienne s’est retirée de la ville d’Avdiïvka dans l’est du pays pour des raisons stratégiques / 19h30 / 2 min. / le 17 février 2024

Un déséquilibre présent partout sur le front

La situation est similaire sur les plus de 1000 kilomètres de lignes de front. Partout, l'Ukraine souffre d'une infériorité numérique dans l'artillerie.

Selon différentes estimations, Kiev tirerait entre 2000 et 5000 obus par jour contre plus de 10'000 pour les forces russes. Un déséquilibre important qui entrave les capacités ukrainiennes à contenir les attaques adverses mais aussi la couverture de ses propres mouvements de troupes. Pour réduire ce désavantage, l'Ukraine utilise de plus en plus de drones chargés d'explosifs. Mais les petits aéronefs ne peuvent pas complètement remplacer les obus de 155 millimètres, car ils disposent d'une portée plus courte et ne peuvent transporter que des charges explosives moins importantes.

Des militaires ukrainiens de l'unité de défense aérienne de la 93e Brigade mécanisée surveillent le ciel sur une ligne de front près de la ville de Bakhmout, le 6 mars 2024. (image d'illustration). [REUTERS - RFE/RL/Serhii Nuzhnenko]
Des militaires ukrainiens de l'unité de défense aérienne de la 93e Brigade mécanisée surveillent le ciel sur une ligne de front près de la ville de Bakhmout, le 6 mars 2024. (Image d'illustration).  [REUTERS - RFE/RL/Serhii Nuzhnenko]

Dans un document de recherche publié au mois de février par l'Institut international d'études stratégiques, Franz-Stefan Gady, chercheur associé spécialisé dans les conflits, et Michael Kofman, chercheur à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, estiment que les livraisons d'obus doivent impérativement augmenter pour changer le cours de la guerre.

Selon eux, Kiev a besoin de "75'000 à 90'000 obus d'artillerie par mois pour soutenir la guerre sur le plan défensif" et de plus du double, "200'000 à 250'000 par mois, pour une offensive majeure".

Où trouver des obus?

Conscients de ce problème récurrent, les membres de l'Union européenne avaient décidé en mars 2023 d'allouer 2 milliards d'euros pour livrer un million d'obus à l'Ukraine d'ici la fin mars 2024. Presque un an plus tard pourtant, le président ukrainien Volodymyr Zelensky, présent à Paris le 26 février dernier, a estimé que seuls 30% de ces obus étaient arrivés en Ukraine.

Un chiffre nuancé par l'Union européenne par la voix de Josep Borrell, vice-président de la Commission européenne et Haut représentant de l'UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité. D'après lui, près de la moitié des obus promis seront livrés d'ici fin mars.

Le chef de la diplomatie de l'Union européenne, Josep Borrell. [Keystone]
Le chef de la diplomatie de l'Union européenne, Josep Borrell. [Keystone]

L'objectif est toutefois loin d'être atteint. Pour Thierry Breton, ce retard s'explique notamment par les difficultés à trouver les matières premières nécessaires à la conception d'obus.

Présent vendredi 1er mars devant la presse à Paris, le commissaire européen au marché intérieur a notamment pointé du doigt ouvertement la responsabilité de la Chine. "Pour fabriquer de la poudre, il faut un type spécifique de coton, qui vient principalement de Chine (ndlr. la nitrocellulose, un polymère hautement inflammable) et comme par hasard, les livraisons se sont arrêtées il y a quelques mois", a-t-il accusé.

Le commissaire européen Thierry Breton. [EPA/Keystone - Olivier Hoslet]
Le commissaire européen Thierry Breton. [EPA/Keystone - Olivier Hoslet]

Mais au-delà de cette remarque, la plupart des experts s'accordent à dire que l'industrie de Défense européenne reste sous-dimensionnée malgré les efforts entrepris au cours des derniers mois.

Face à cette réalité, le président tchèque Petr Pavel a annoncé lors de la conférence de Munich sur la sécurité de mi-février avoir "identifié" 800'000 obus prêts à l'achat "hors de l'Union européenne" et livrables à l'Ukraine en quelques semaines "à condition d'avoir les fonds nécessaires".

Jeudi, le président tchèque a confirmé devant la presse que "la somme complète" avait été réunie, sans divulguer le montant. "S'il n'y a pas de problèmes fondamentaux, les munitions pourraient être livrées à l'Ukraine dans quelques semaines", a-t-il ajouté.

>> Revoir le reportage du 19h30 sur les ambitions européennes sur la production d'armes et de munitions :

Deux ans après l’invasion de l’Ukraine, l’UE veut accélérer la production d’armes et de munitions
Deux ans après l’invasion de l’Ukraine, l’UE veut accélérer la production d’armes et de munitions / 19h30 / 2 min. / le 5 mars 2024

Le sceau du secret a également été appliqué aux pays qui s'apprêtent à vendre ces obus, la plupart d'entre eux ne voulant pas ouvertement prendre part au conflit entre la Russie et l'Ukraine. Selon plusieurs spécialistes, l'UE aurait frappé à de nombreuses portes pour trouver ces stocks. On évoque notamment l'Inde, l'Egypte ou encore l'Afrique du Sud.

Mais le fournisseur le plus probable reste toutefois la Corée du Sud, l'un des plus gros producteurs d'obus au monde, comme l'explique dans une interview accordée à RFI Vincent Touret, doctorant à l'Université de Montréal. "Si la contre-offensive ukrainienne a pu être lancée (ndlr. en été 2023), c'est parce que la Corée du Sud a accepté, à travers les Américains, de leur livrer 500'000 obus (...) la Corée du Sud a tout intérêt à ce que le conflit soit perdu par la Russie, car pour l'instant la Russie alimente la Corée du Nord en lui achetant des munitions", analyse-t-il.

De bonnes nouvelles en provenance d'Amérique?

S'ils venaient à être confirmés, l'achat et la livraison de ces 800'000 obus offriraient une véritable bouffée d'oxygène à l'armée ukrainienne. Cependant, c'est aussi à Washington que le sort de la guerre continue de se jouer.

Le Sénat américain a bien voté une nouvelle tranche d'aide de 60 milliards de dollars à l'Ukraine, mais la Chambre des représentants, où les républicains sont majoritaires, continue de bloquer ce soutien. Un nouveau vote pourrait néanmoins avoir lieu dès le mois de mars.

Brian Fitzpatrick, un élu républicain modéré de la Chambre, a en effet déposé un instrument législatif rare intitulé "pétition de décharge". Ce dernier pourrait, avec le soutien de quelques autres élus républicains favorables à une nouvelle aide immédiate à l'Ukraine et la plupart des démocrates, contourner Mike Johnson, président républicain de la Chambre des représentants, et soumettre cette aide à un nouveau vote.

Interrogé par le média Axios le 29 février dernier, Brian Fizpatrick s'est d'ailleurs dit résolument optimiste, estimant que de nombreux républicains étaient prêts à s'opposer à leurs dirigeants pour armer l'Ukraine.

Si le Congrès acceptait ce nouveau financement, Kiev pourrait bénéficier de la plupart des 36'000 obus que l'armée américaine est désormais capable de fabriquer chaque mois dans ses usines de Pennsylvanie et du Texas.

Mises bout à bout, toutes ces nouvelles aides, si elles se confirment, pourraient au moins permettre à l'Ukraine de tenir les lignes de front sur l'ensemble du territoire.

Tristan Hertig

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