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La voix des peuples autochtones du Canada passe par l'écologie

Comment les peuples autochtones du Canada utilisent leurs pratiques ancestrales et traditionnelles en écologie pour obtenir une voix sur la scène politique nationale [Keystone - Heywood Yu/The Canadian Press via AP]
La voix des autochtones au Canada passe par l'écologie / Tout un monde / 4 min. / le 14 décembre 2023
Les peuples autochtones du Canada utilisent leurs pratiques écologiques ancestrales pour obtenir une voix sur la scène politique nationale. Avec les incendies de l'été, des indigènes se sont fait entendre plus que d'habitude, car leurs terres étaient directement menacées par les flammes. Même si tous ne sont pas engagés pour l’environnement, l'écologie est devenue un levier pour se faire entendre.

Au lac Jacko, dans la province de la Colombie-Britannique, à l’ouest du Canada, la matriarche de la communauté autochtone Secwépemc, April Thomas, se bat contre l’implantation d’un oléoduc. Les travaux ont déjà commencé il y a plusieurs années, mais la récente modification du tracé de construction passe par le lac et son pourtour.

Mais cet espace, nommé Pipsell par les autochtones, est un site spirituel et historique pour les Secwépemc. Un site à proximité immédiate des mondes des eaux (l'aquifère) et des cieux, de l'Arbre de prière, et du complexe historique de l’Affût de chasse et ses prairies avoisinantes, qui est aussi l’habitat d'espèces en péril telles que le tétras à queue fine, la chevêche des terriers et le blaireau d'Amérique.

"Ce site s’appelle Pipsell. Vous savez, pour nous, ce lieu, c'est comme un sanctuaire, comme ce que représente une église. Tout notre peuple demande de le respecter et de ne pas le détruire. Et, si l'on suivait nos lois autochtones, on ne détruirait jamais notre eau, notre terre, car on laisse toujours un endroit dans l'état dans lequel il était avant que l'on arrive. Ici, ils ne pourront jamais faire ça, parce que tout ce qu'ils font détruit ce qui est sacré pour nous", explique April Thomas dans Tout un monde.

"Ils n'ont aucun respect pour notre peuple et ce que nous considérons comme sacré"

April n’en est pas à son premier combat contre un projet polluant. Elle a même déjà été arrêtée lors d’une lutte contre l’exploitation d’une mine. Avec les années, elle est devenue un peu désespérée par le fait que les peuples autochtones ne soient pas écoutés par le gouvernement.

"Je suppose que c'est parce que je fais ça depuis longtemps. Mais si j'étais la même personne qu'il y a dix ans, je serais probablement en train de pleurer. C'est un mélange d'émotions que je ressens en voyant de mes propres yeux qu'ils n'ont aucun respect pour notre peuple et pour tout ce que nous considérons comme sacré", regrette-t-elle.

Inclure davantage les peuples autochtones dans les prises de décision liées aux gros projets d’infrastructure comme cet oléoduc, c’est le combat depuis six ans de Projet Reconciliation, une société d’investissement installée à Calgary, en Alberta, dont Stephen Mason est le directeur.

"Nous devons changer de modèle pour que les autochtones s'approprient matériellement ces grands projets d'infrastructure. Les décisions d'aujourd'hui reposent sur un modèle défini par la Constitution signée il y a 200 ans, qui stipule qu'il y a un devoir de consultation des indigènes. Mais en réalité, tout ce qu'il s'est passé au cours de l'histoire n'a été que de l'ordre d'une participation symbolique. On souhaite donc changer ce modèle et donner une vraie place aux autochtones à la table des négociations, qu'ils aient vraiment une voix, car en tant que gardiens de la Terre, ils ont une bien meilleure vision de la protection des terres. Les écouter serait logique pour tout le monde", développe-t-il.

Conflits d'usage

Si les peuples autochtones se retrouvent très régulièrement pris dans des conflits liés à des enjeux environnementaux, c’est parce que les terres où ils pratiquent leurs activités ancestrales, leur culture, sont souvent des zones où il y a des ressources naturelles à extraire, aussi bien minières, forestières, hydroélectriques. Et leur exploitation a un impact direct sur leur mode de vie.

Aujourd'hui, même si le chemin est encore long, les Premières Nations accèdent à de plus en plus d’espace sur la scène nationale. Martin Papillon est enseignant-chercheur en sciences politiques à l’Université de Montréal. Il rappelle que les autochtones se mobilisent depuis longtemps pour défendre leurs droits.

Cette tradition politique "a donné lieu à plusieurs développements intéressants dans les dernières années, au niveau national mais aussi international, par exemple la Déclaration sur les peuples autochtones, un document adopté à la majorité à l’Assemblée générale des Nations unies. Le texte, non contraignant au niveau juridique, prévoit notamment la protection des territoires ancestraux autochtones et aussi et surtout le droit pour les autochtones de participer à la prise de décision lorsqu'il y a des projets, des enjeux qui affectent leur territoire. Donc il y a beaucoup de mouvements en ce moment qui permettent finalement aux autochtones d’être plus visibles lorsqu'il y a des conflits liés aux politiques des Etats comme le Canada".

Le plus important, pour le chercheur, c’est de ne pas généraliser ou systématiser la pensée des populations autochtones. "On a tendance à voir les autochtones de façon monolithique, comme les peuples qui, comme ils sont près de la terre, sont nécessairement des écologistes nés. Il faut nuancer. Il y a chez les autochtones, comme dans toute autre société, des diversités de points de vue, de perspectives et d’intérêts sur ces questions-là".

Sujet radio: Justine Leblond

Adaptation web: Julien Furrer

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