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Certains pays arabes "veulent garder des relations correctes avec Israël, malgré la violence" à Gaza

Géopolitis : Gaza, pays arabes sous pression [TURKISH PRESIDENTIAL PRESS OFFICE - TURKISH PRESIDENTIAL PRESS OFFICE]
Gaza, pays arabes sous pression / Geopolitis / 26 min. / le 19 novembre 2023
La guerre entre le Hamas et Israël divise les pays du Moyen-Orient entre ceux qui ont choisi dans le passé la voie du rapprochement avec Israël et ceux qui l'ont toujours refusée.

Le 11 novembre, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane réunissait autour de lui à Riyad les dirigeants du monde arabe et du monde musulman. Les pays de la région - qui ont refusé de condamner le Hamas, à l’exception des Emirats arabes Unis - ont fermement condamné les frappes et actions militaires menées par Israël à Gaza. Mais ils restent divisés sur les mesures à prendre. Certains pays, comme l'Algérie et le Liban, ont proposé de rompre les liens économiques et diplomatiques avec Israël et de cesser d'approvisionner en pétrole ce pays et ses alliés, mais ils n'ont pas été suivis.

"En apparence, il y a cette unité avec quelques déclarations fortes mais concrètement aucune mesure n'a été prise puisqu'on voit bien qu'il y a quand même des pays qui continuent à vouloir garder des relations à peu près correctes avec Israël, en dépit de la violence de ce qu'il se passe sur le terrain", analyse Agnès Levallois, vice-présidente de l’Institut de Recherche et d’Etudes Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO), dans Géopolitis. Sous l’impulsion des Etats-Unis, les Emirats Arabes unis, Bahreïn, le Maroc et le Soudan ont signé en 2020 et 2021 les accords d'Abraham pour normaliser leurs relations avec Israël. L’Egypte et la Jordanie sont signataires d’accords de paix avec l'Etat hébreu, respectivement en 1979 et en 1994.

Pression populaire

Début novembre, la Jordanie puis Bahreïn ont rappelé leurs ambassadeurs en Israël. L’Arabie saoudite, qui était aussi en négociation pour un accord de normalisation avec Israël, a suspendu le processus. Les pays arabes de la région sont mis sous pression par leur opinion publique. Au Maroc, en Jordanie ou encore en Egypte, les manifestants sont sortis en nombre pour dénoncer la situation à Gaza.

Ces mobilisations sont un défi pour certains pays de la région. "L'autoritarisme qui s'est développé maintenant depuis quelques années est remis en question par cette mobilisation à laquelle les dirigeants ne s'attendaient pas", selon Agnès Levallois qui souligne que "même aux Emirats Arabes Unis, un pays qui a normalisé [ses relations] avec Israël, il y a eu quelques manifestations, alors que c'est un pays dans lequel on ne manifeste pas".

L'Egypte est particulièrement sensible à l'évolution de la situation à Gaza. C’est dans le Sinaï, sur son territoire, que se situe le seul point de sortie pour les Palestiniens. Ce passage est partiellement ouvert pour évacuer certains blessés, des étrangers et des binationaux. Le Caire s'oppose fermement à une évacuation massive des Palestiniens de Gaza sur son territoire. Le régime égyptien ne veut pas devenir responsable du sort de milliers de Palestiniens qui pourraient fuir en Egypte, avec peu de perspective de retour, alors que le pays est déjà fragile économiquement. Il craint aussi la potentielle arrivée sur son territoire de combattants de l’enclave palestinienne qui pourraient déstabiliser un peu plus le Sinaï, où l’Egypte tente de contenir des rebelles affiliés au groupe Etat islamique.

Mais c'est surtout des motifs politiques qui expliquent la position de l'Egypte, estime Agnès Levallois. "Accepter d'accueillir les Palestiniens, cela voudrait dire que l'Egypte serait complice finalement d'une deuxième Nakba - Nakba qui veut dire la catastrophe et qui fait référence à 1948, quand les Palestiniens ont été chassés de chez eux", lors de la période de conflits qui a entouré la création de l'Etat d'Israël.

L'escalade ?

Face aux divisions des pays arabes, la Turquie et surtout l'Iran veulent se positionner comme les défenseurs inconditionnels de la cause palestinienne. Téhéran soutient et arme le Hamas, mais aussi le Hezbollah libanais, son allié numéro un dans la région. Depuis les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre et la riposte d'Israël sur Gaza, les échanges de tirs à la frontière entre le Liban et Israël sont quotidiens. Le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a revendiqué dans son discours du 11 novembre le renforcement des attaques de son mouvement contre Israël.

Le Hezbollah, parti et groupe armé très influent au Liban, a des liens étroits avec le Hamas et dispose de capacités militaires plus importantes, en termes d’hommes et d’armement, avec quelques 130'000 roquettes et missiles, certains de haute précision. "Je continue à considérer et à penser que le Hezbollah ne veut pas rentrer dans cette guerre au-delà de ce qu'il fait. C'est-à-dire qu'il peut afficher que le Liban est entré en guerre contre Israël mais de façon très mesurée et très prudente (...) Il ne veut pas prendre le risque que cela aille plus loin", estime Agnès Levallois.

Elle ne voit pas non plus l'Iran pousser vers une escalade du conflit malgré les messages contradictoires envoyés par le régime. "Les Iraniens sont aussi conscients du fait qu'avec la présence de deux porte-avions américains au large des côtes libanaises, le danger serait bien trop grand", selon Agnès Levallois. Mi-octobre, les Etats-Unis avaient ordonné le déploiement d'un deuxième porte-avions en Méditerranée orientale, pour "dissuader les actions hostiles contre Israël ou tout effort visant à élargir cette guerre", selon un communiqué du Département de la défense.

Elsa Anghinolfi /Jean-Philippe Schaller / AFP

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