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Comment la droite américaine s'est progressivement rapprochée de la Russie

Une activiste américaine avec une pancarte dénonçant le rapprochement de la présidence américaine de Donald Trump avec la Russie de Vladimir Poutine en 2018. [Keystone/AP Photo - Andrew Harnik]
Le rapprochement des conservateurs américains avec la Russie: interview d’Alexis Rapin / Tout un monde / 10 min. / le 24 août 2023
Autrefois considérée comme l'ennemi géopolitique numéro 1, la Russie est aujourd'hui vue d'un bien meilleur oeil par les républicains américains. Invité jeudi dans Tout un monde, Alexis Rapin, chercheur en études stratégiques et diplomatiques, analyse l'évolution du discours et le changement d'attitude de la droite américaine envers le Kremlin.

Deux camps distincts peuvent être observés chez les républicains. Il y a, d'un côté, la vieille garde traditionnelle défiante à l'égard de la Russie et, de l'autre, la nouvelle frange trumpiste plus favorable à Moscou. Si le premier camp tend à se faire de plus en plus discret, le deuxième, lui, a pris du galon ces dernières années, explique Alexis Rapin, jeudi dans l'émission Tout un monde.

"Le mouvement de fond tend à être moins critique envers la Russie. Plusieurs candidats à l'investiture républicaine comme Ron de Santis ont, par exemple, pour stratégie de ressembler à Trump, voire d'être plus Trump que Trump sur certains aspects. Or, l'attitude à l'égard de la Russie semble figurer dans ce réflexe d'imitation", détaille le chercheur à la chaire Raoul Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'Université du Québec à Montréal.

On distingue par ailleurs peu de successeurs susceptibles de maintenir un courant opposé à la Russie au sein du Parti républicain. Pour Alexis Rapin, on fait face aujourd'hui à un remplacement générationnel accompagné d'un changement de paradigme. "Selon les sondages, critiquer la Russie n'est aujourd'hui plus payant électoralement quand on appartient à la droite américaine", ajoute-t-il.

Des valeurs conservatrices communes

Mais comment expliquer un tel changement de discours? "Il s'agit du fruit d'un processus assez discret", répond le spécialiste. Les premiers signaux sont apparus en 2015, lorsque le groupe Etat islamique (EI) était au sommet de sa puissance en Syrie et en Irak.

A cette période, la Russie intervient militairement en Syrie pour soutenir le régime de Bachar Al-Assad. "On voit alors apparaître au sein de la droite radicale américaine l'idée selon laquelle la Russie est un partenaire de circonstance dans la lutte contre le djihadisme. Petit à petit, d'autres figures de droite vont insister sur le fait que le vrai ennemi est l'islam radical. La Russie est alors perçue par les républicains comme un porte-étendard de l'Occident chrétien avec qui on devrait forger une alliance."

En outre, de par leurs valeurs conservatrices communes, leur image "virile" et leurs discours anti-woke, la droite américaine parvient aisément à s'identifier à la Russie.

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La Chine comme nouvel ennemi?

Petit à petit, une autre superpuissance est désignée comme grand adversaire idéologique des Etats-Unis: la Chine. "On réactive une rhétorique de Guerre froide. On insiste sur le fait que la Chine est un pays communiste avec un régime opaque et dont les valeurs sont fondamentalement opposées au mode de vie américain."

L'Amérique n’a pas vraiment changé de politique vis-à-vis de la Russie. Au contraire, cela n'a pas toujours été une promenade de santé sous l'ère Trump

Alexis Rapin, chercheur en études stratégiques et diplomatiques à l'Université du Québec

Mais si l'on observe un assouplissement du discours vis-à-vis de la Russie, cela ne se traduit pas forcément par des mesures concrètes, nuance Alexis Rapin. "L'Amérique n'a pas vraiment changé de politique. Au contraire, cela n'a pas toujours été une promenade de santé sous l'ère Trump. Il a, par exemple, été le premier président américain à envoyer des armes à l'Ukraine, bien avant la guerre." L'administration d'Obama s'en était, elle, tenue à livrer des équipements non létaux.

Aide à l'Ukraine contestée

Donald Trump a également forcé l'instauration de sanctions importantes à l'encontre du gazoduc Nord Stream. "Ainsi, si on considère que les actes sont plus importants que les paroles, on voit que la politique de Trump n'était pas toujours favorable à la Russie", met en lumière Alexis Rapin.

Il y a en outre un discours grandissant aux Etats-Unis selon lequel l'Amérique devrait davantage s'occuper d'elle-même et consacrer moins de ressources aux pays étrangers. Des candidats à la primaire républicaine 2024 ou des parlementaires comme Kevin McCarthy ont par exemple récemment contesté le soutien militaire des Etats-Unis à l'Ukraine. Pour Alexis Rapin, ce discours est appelé à durer et pourrait s'avérer porteur d'un point de vue électoral.

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Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Texte web: Hélène Krähenbühl

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