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Richard Ford: "Tous les fondements de la vie américaine sont partiellement fracturés"

L'écrivain Richard Ford a un regard acéré sur la culture nationale mythifiée dans la société étasunienne. [Keystone/AP Photo - Rogelio V. Solis]
L’écrivain Richard Ford porte un regard critique sur la politique aux Etats-Unis / Tout un monde / 9 min. / le 26 septembre 2022
L'Amérique doit faire face aux "balivernes" sur ses fondements et cesser de se voir comme une "ville lumineuse sur la colline", estime Richard Ford. Cet écrivain américain qui a reçu le Prix Pulitzer en 1996 déplore le fait que les Américains des deux bords ne se parlent plus et redoute "quelque chose de cataclysmique".

Jamais Richard Ford n’aurait imaginé que Donald Trump puisse être élu à la Maison Blanche, mais "quand vous dites que l'impensable est arrivé, cela signifie que la personne que vous ne vouliez pas voir élue l'a été. Un crétin a été élu, un homme terrible et égocentrique qui ne se soucie pas du tout des États-Unis. Mais beaucoup de gens ne sont pas de cet avis. Nous ne pouvons donc pas dire que l'impensable s'est produit. Parce que les élections ont été équitables et qu'il a gagné sans fraude. Donc c'est tout à fait pensable", a expliqué l'auteur à la RTS en marge du Festival America, qui s'est tenu près de Paris

"Nous devons réfléchir à ce qu'il faut faire. Pas tant pour lui que pour tous ces gens qui, de façon choquante, pensent qu'il a été un bon président, qui, de façon choquante, veulent qu'il continue à être président et qu'il le redevienne", développe l'auteur du cycle "Frank Bascombe", qui se définit comme un "political writer" (un écrivain politique).

Une nation fracturée

Les Etats-Unis restent clairement divisés. Mais "je ne pense pas qu'en général, les Américains méprisent ceux qui ne partagent pas leurs opinions. C’est une idée instrumentalisée par l’extrême-droite. Ce qui ne veut pas dire qu'une certaine partie de la population américaine ne se sent pas négligée."

Et "je ne pense pas qu'à travers le spectre de la population américaine, la plupart des gens d’un côté pensent que l’autre côté est une bande d’élitistes ou de terroristes. Et je n'en vois pas la preuve, même dans l'État rouge (Ndlr: le Montana républicain) où je vis, où les gens me semblent être du genre à vivre et à laisser vivre", tempère Richard Ford.

Tous les fondements, les mythes de la vie américaine sont partiellement fracturés, dès le début. Et personne ne veut le voir en face

Richard Ford, écrivain américain

Un des problèmes est que l'Amérique aime se voir comme "cette ville lumineuse sur la colline", selon une expression du pèlerin John Winhtop en 1630 dans sa quête de l'Amérique idéale et reprise par Ronald Reagan dans son discours d'adieu en 1989. Or, "c’est un mensonge. Cela a toujours été un mensonge: quand il y avait l’esclavage, quand les femmes ne pouvaient pas voter, quand vous deviez être propriétaire pour voter. C’était un mensonge. Donc, tous les fondements, les mythes de la vie américaine sont partiellement fracturés, dès le début. Et personne ne veut le voir en face. C'est pour cela que des personnes s’opposent aux changements dans les programmes scolaires, sur les questions raciales par exemple. Ils ne veulent pas que cette fracture soit exposée à la lumière. Mais on ne peut rien y faire parce que c'est là", analyse l'auteur de "Indépendance".

Faire face aux "balivernes"

Selon lui, le fameux slogan de Donald Trump "Redonner sa grandeur à l’Amérique" est tout autant mensonger, mais "beaucoup d'électeurs de Trump sont de bonne foi et pensent qu'il y a eu un moment dans leur vie, ou juste avant, où les choses étaient bien meilleures".

"Et tant que nous ne ferons pas face à ces balivernes dans tous les domaines, à gauche comme à droite de l’échiquier politique, nous aurons ce terrible fossé. Je veux dire, c'est un moment en Amérique où il est presque prévisible que quelque chose de cataclysmique va se produire", redoute Richard Ford en évoquant aussi bien une guerre contre la Russie qu'un conflit à l'intérieur du pays "qui le diviserait pour toujours".

Donald Trump lors d'un rassemblement pour le candidat républicain de Caroline du Nord au Sénat américain Ted Budd à l'aéroport international de Wilmington. [Reuters - Jonathan Ernst]
Donald Trump lors d'un rassemblement pour le candidat républicain de Caroline du Nord au Sénat américain Ted Budd à l'aéroport international de Wilmington. [Reuters - Jonathan Ernst]

De manière générale, Richard Ford s'inquiète de la montée des mouvements populistes nationalistes, comme en Suède, qui mettent en cause la nature même des démocraties libérales, "notamment parce que la droite est beaucoup plus motivée, bien plus consciente de ce que sont les objectifs de son idéologie. Et beaucoup plus efficace en tant que machine politique que les libéraux, les progressistes et les modérés".

Malgré tout, "je reste optimiste", relève Richard Ford. "Mais comme j'ai 78 ans, ce n’est pas un investissement à long terme! J'écris des livres parce que je crois fondamentalement qu'il y aura un avenir dans lequel ces livres seront utiles. Un avenir dans lequel les gens liront des livres. Et si je me trompe, je ne serai plus là pour m'en rendre compte. Mais tant que je suis vivant, cet optimisme reste valide", conclut celui dont le dernier livre, un recueil de nouvelles, "Rien à déclarer", a été publié en 2021.

Propos recueillis par Patrick Chaboudez

Adapation web: Caryl Bussy

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