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L'Autriche expose son art nazi pour mieux s'y confronter

Le musée montrer les objets numérotés et sans les déballer. [AFP - Joe Klamar]
Le musée municipal de Vienne expose ses réserves d'art nazi / Le 12h30 / 19 sec. / le 30 décembre 2021
Ne plus cacher, ni célébrer pour autant: Vienne joue la transparence et expose, sans complaisance, ses réserves d'art nazi, composées de sculptures néoclassiques et de peintures officielles souvent estampillées d'une croix gammée.

Jusqu'en avril, le musée municipal Wien Museum MUSA présente dans deux petites salles cet héritage encombrant d'un passé longtemps nié par l'Autriche.

L'exposition, qui se nomme sobrement "Vienne se met au pas", jette une lumière inédite sur la politique artistique dans le pays natal d'Adolf Hitler annexé en 1938 par l'Allemagne nazie. Il y a là des tableaux, des poteries ou des affiches interdits de mise sur le marché.

"Pas une présentation artistique classique"

Sabine Plakolm-Forsthuber et Ingrid Holzschuh, les commissaires de l'exposition. [AFP - AFP]
Sabine Plakolm-Forsthuber et Ingrid Holzschuh, les commissaires de l'exposition. [AFP - AFP]

Le musée a décidé de les montrer numérotés sans les déballer tout à fait, comme s'ils prenaient tout juste l'air avant de vite regagner l'entrepôt. Pas question de les mettre en beauté comme au Louvre: ils sont des témoins historiques et ne peuvent plus prétendre au titre d'oeuvre.

"Pour nous, il était clair qu'il ne s'agissait pas d'une présentation artistique classique", explique Ingrid Holzschuh, l'une des commissaires qui a conçu le projet après quatre ans de recherche. Il fallait que "cela fasse un peu bazar", éviter de "conférer une aura" à l'ensemble, précise-t-elle.

Alors que toute apologie du IIIe Reich est sévèrement sanctionnée en Autriche, elle estime qu'il est temps d'assumer et de "se confronter à l'Histoire", car "les lacunes à combler sont encore nombreuses".

L'art au service de la propagande

Après le rattachement au Reich de l'Autriche le 12 mars 1938, le régime a pris le contrôle de la politique culturelle pour la mettre "au diapason de sa vision idéologique et raciste". Les artistes devaient s'enregistrer auprès d'une autorité de tutelle, la "Chambre des beaux-arts du Reich", qui s'assurait d'une production conforme aux canons dictés par Berlin.

Rares sont les Autrichiens à savoir qui sont les 3000 membres de cette association ayant accepté de remplacer les créateurs juifs et d'avant-garde, considérés comme des "dégénérés", pour servir une idéologie meurtrière. La petite paysanne portraiturée avec un réalisme plat par Herta Karasek-Strzygowski ou l'huile sur toile d'un certain Igo Pötsch, immortalisant l'entrée d'Hitler dans Vienne, n'ont pas changé l'histoire de l'art.

Il ne s'agissait alors que de répondre aux besoins de la propagande avec zèle et fidélité. Ceux qui refusaient de se plier aux nouvelles règles ont dû fuir ou ont été envoyés en camp de concentration, détaille le catalogue de 300 pages. Après 1945, on a archivé à la cave les reliques de ce courant, souvent fruit de commandes. Et l'Autriche s'est présentée comme une victime du nazisme. Ce n'est qu'à partir de la fin des années 1980 qu'un travail de mémoire a été entrepris.

L'exposition porte d'ailleurs un regard critique sur l'influence conservée des décennies durant par certaines de ces "élites" illégitimes, restées au coeur de la bourgeoise viennoise après la capitulation. A l'image du sculpteur Wilhelm Frass qui a continué à travailler.

"Il reste encore des choses à faire"

Inaugurée en octobre, l'exposition a attiré plus de 4000 visiteurs au cours du premier mois, signe pour la porte-parole du musée Konstanze Schäfer du "grand intérêt" d'un public mûr pour une remise en question.

L'exposition porte un regard critique sur les "élites" illégitimes. [AFP - Joe Klamar]
L'exposition porte un regard critique sur les "élites" illégitimes. [AFP - Joe Klamar]

L'historien Gerhard Baumgartner, directeur du centre de documentation sur la résistance autrichienne (DÖW), veut croire que ces dernières décennies, "l'état d'esprit a changé et qu'un processus de réflexion a été enclenché".

Ainsi, lorsque le parti d'extrême droite FPÖ, fondé par d'anciens nazis, a participé au gouvernement, il a pris soin de montrer patte blanche en soutenant toutes les initiatives commémorant les victimes de la Shoah.

Mais "il reste encore des choses à faire", estime Gerhard Baumgartner. Cette même formation s'adonne régulièrement à des dérapages et cet automne, un ministre conservateur a dû s'excuser pour d'anciens propos antisémites.

afp/aps

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Connaître le passé pour prendre les décisions d'avenir

Tout récemment, Vienne a lancé un concours pour "contextualiser" enfin une statue de Karl Lueger, un ancien maire antisémite de la capitale, inspirateur d'Hitler. La ville passe aussi en revue ses noms de rues, dont certaines honorent des personnalités compromises.

"Il est essentiel d'avoir une connaissance approfondie du passé pour prendre les décisions d'avenir", résume la conseillère municipale Veronica Kaup-Hasler, insistant sur "l'importance d'une culture du souvenir" et d'un "regard critique".