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La réticence envers les vaccins anti-Covid gagne l'Afrique de l'Ouest

Le Sénégal fait face au défi de l’hésitation vaccinale contre le Covid-19, alors que seulement 6% de la population du continent africain est vaccinée
Le Sénégal fait face au défi de l’hésitation vaccinale contre le Covid-19, alors que seulement 6% de la population du continent africain est vaccinée / 19h30 / 4 min. / le 21 novembre 2021
Depuis plusieurs semaines, les vaccins contre le Covid-19 sont disponibles en quantités importantes en Afrique de l'Ouest. La région doit cependant faire face à un nouveau défi: celui de l'hésitation vaccinale. Reportage au Sénégal.

Dans le centre de santé de Wakhinane en banlieue de Dakar, le major Sall gère les arrivées des personnes souhaitant se faire vacciner. Dans la salle d'attente ce matin-là, de nombreuses mères de famille venues vacciner leurs bébés contre les maladies infantiles, mais aucun patient intéressé par une dose de Sinopharm ou Johnson & Johnson, pourtant disponibles.

"Nous avions une grande affluence lors de la 3e vague, mais cela a diminué", indique l'infirmier d'Etat. La veille, onze personnes ont reçu une dose de vaccin contre le Covid-19 dans ce centre, contre une centaine par jour l'été dernier.

Le constat est le même au poste de santé du district qui gère la répartition des doses. "Les postes de santé étaient vraiment débordés par le passé", explique Fatou Diop Sady, en charge de la vaccination dans le district de Guediawaye. "Même la vaccination de routine était laissée en rade à cause de la vaccination contre le Covid. Les gens venaient à 5h du matin pour se faire vacciner tellement ils y croyaient. J'ai l'impression qu'avec le relâchement, ils se disent qu'ils sont en sécurité."

Des centaines de milliers de doses perdues

Car depuis le mois d'octobre, moins de 10 nouveaux cas de coronavirus sont officiellement recensés par jour au Sénégal. Résultat: la vaccination attire moins de monde et quelque 200'000 doses de vaccins ont été perdues à la fin octobre dans le pays, selon le Programme élargi de vaccination.

Pourtant, le Sénégal n'a vacciné entièrement que 10% de la population en âge de l'être, selon les chiffres des autorités. Une telle réticence a aussi été rapportée dans plusieurs autres pays comme le Bénin.

Au Sénégal, face à ce phénomène, les districts sanitaires ont reçu des instructions pour "faire bouger les choses". Dans le district de Guediawaye, on a mis en place une vaccination mobile, pour être au plus proche de la population. On relance aussi par téléphone les personnes qui ont déjà reçu une première dose. Prochaine étape: l'organisation de "causeries", soit des réunions informatives avec des relais au sein de la communauté, tels des chefs religieux.

"Tout ce qui circule en Suisse circule aussi ici"

Depuis le début de la campagne de vaccination au Sénégal, l'acceptabilité des vaccins anti-Covid a varié dans le temps, ont constaté les chercheuses Alice Desclaux et Khoudia Sow. Après une large adhésion, la médiatisation d'AstraZeneca en Europe a fait douter jusqu'en Afrique. Puis la troisième vague épidémique a frappé le pays en juillet, provoquant une prise de conscience des risques de la maladie, et donc une forte augmentation de la demande en vaccins, selon les anthropologues de la santé.

"Il y avait alors une forte demande en vaccins, mais ceux-ci n'étaient pas disponibles en quantité suffisante", explique l'immunologue Tandakha Ndiaye Dieye, qui a conseillé le gouvernement en matière de stratégie vaccinale. "Cela a beaucoup affecté le programme."

Les complications liées à l'obtention d'une seconde dose, ainsi que les fausses informations pullulant sur internet, ont également été dommageables, analyse-t-il. "Tout ce qui circule en Suisse ou en France circule aussi sur internet ici. La population se pose les mêmes questions: le vaccin est-il réellement efficace? Quels sont les risques?"

Une professionnelle de la santé prépare une dose de Sinopharm à Dakar. [AP/Keystone - Leo Correa]
Une professionnelle de la santé prépare une dose de Sinopharm à Dakar. [AP/Keystone - Leo Correa]

Au Sénégal, il existe aussi chez certaines personnes une méfiance envers ces vaccins élaborés en Europe, pour la population européenne - à l'image d'AstraZeneca - puis donné au continent africain. "Si les autorités africaines décidaient de créer un vaccin en Afrique, je me ferais peut-être vacciner, moi je fais confiance aux scientifiques africains", explique Sirmy, une jeune Dakaroise qui pour l'instant dit non au vaccin anti-Covid.

"Je ne vis pas en Europe, je ne vis pas aux Etats-Unis, je vis en Afrique. Je vois à quel point les gens souffrent ici, et non seulement à cause du coronavirus, mais aussi à cause d'autres maladies. Si nous produisions sur le continent le vaccin contre le Covid, cela motiverait aussi nos scientifiques à travailler contre d'autres maladies qui frappent durement l'Afrique, comme le paludisme."

Un rêve qui pourrait devenir réalité. Le Sénégal et des institutions et pays européens ont annoncé l'été dernier la construction d'une usine de vaccins contre le Covid-19 et d'autres maladies endémiques sur sol sénégalais. L'Institut Pasteur de Dakar hébergera ce pôle régional de production de vaccins, d'abord sous licence. L'objectif: réduire la dépendance du continent envers l'extérieur, car aujourd'hui l'Afrique importe 99% de ses besoins en vaccin.

Tamara Muncanovic

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