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Une partie du monde académique turc se soulève contre la mainmise d'Erdogan

En Turquie, les étudiants luttent contre le pouvoir du gouvernement jusque dans leurs universités
En Turquie, les étudiants luttent contre le pouvoir du gouvernement jusque dans leurs universités / 19h30 / 2 min. / le 26 février 2021
A Istanbul, les étudiantes, étudiants et le corps enseignant d'une des plus célèbres universités turques dénoncent la mainmise du président Erdogan qui a placé un proche à la tête de leur institution. Un mouvement de contestation sans précédent depuis les événements du parc Gezi s'est formé. Il s'étend désormais à d'autres universités du pays.

L'Université Bogazici est désormais sous haute surveillance. La police a investi les abords du prestigieux établissement alors que tous les jours à midi, les étudiantes et étudiants, ainsi que les membres du corps professoral se retrouvent sur la pelouse du campus pour tourner le dos au bureau de la direction: leur but, protester contre la nomination de leur nouveau recteur, Melih Bulu, parachuté à cette position par le président Recep Tayyip Erdogan lui-même.

Tous ont pu constater les purges du monde académique qui ont eu lieu après la tentative de coup d'Etat en 2016. Pour rappel, des centaines de professeurs ont été licenciés dans les années qui ont suivi et des dizaines de nouveaux recteurs d'universités propulsés directement par décret présidentiel à la tête de ces grandes écoles. L'Université Bogazici avait jusqu'à récemment réussi à passer entre les mailles du filet en gardant un droit de regard sur ces décisions. Cette remise à l'ordre du pouvoir ne passe pas.

"Des décisions arbitraires"

Pour Mert Gökduman, étudiant en physique et ingénierie électrique à l'Université Bogazici, il s'agit avant tout de protester contre "le système" qui permet ces "décisions arbitraires". Rencontré par la RTS, il explique que cette décision remet en cause "ce que devrait être une université". "Il s'agit de liberté de pensée et de liberté d'expression (...) Ce genre de décisions arbitraires a mené le pays là où il est actuellement".

Depuis le début de l'année, les manifestations se succèdent, entraînant une réponse musclée de la police et du président turc. Pour ce dernier, les contestataires ne sont que des "terroristes" alors que son ministre de l'Intérieur, Süleyman Soylu, n'hésite pas à les traiter de "déviants LGBT" pour avoir organisé une exposition où un drapeau arc-en-ciel était apposé à une image du site musulman de la Kaaba, à la Mecque.

>> Voir également l'éclairage d'Avram Zisyadis dans le 19h30 :

Le journaliste RTS Avram Zisyadis sur la jeunesse turque et ses revendications.
Le journaliste RTS Avram Zisyadis sur la jeunesse turque et ses revendications. / 19h30 / 1 min. / le 26 février 2021

L'un des derniers contre-pouvoirs mis au pas ?

Depuis le début des manifestations, au moins 500 personnes ont été arrêtées. Certaines d'entre elles sont encore en détention. "L'indépendance ou l'autonomie institutionnelle n'existent plus en Turquie. Bogazici était la dernière université publique à être autonome. Après elle, le paysage universitaire dans sa totalité serait mis au pas", explique Zeynep Gambetti, professeure de théorie politique dans ce célèbre établissement stanbouliote.

Un avis que partage Ahmet Insel, politologue: "En s'attaquant à l'Université du Bosphore, réputée pour son indépendance et ses valeurs universelles, Erdogan est passé à la vitesse supérieure. Il renforce son contrôle sur le milieu académique et impose son hégémonie culturelle", relate-t-il dans les colonnes du Figaro.

Un contexte social et économique difficile

Pour certains néanmoins, ces vives protestations, qui s'étendent désormais dans plusieurs coins du pays, sont un signe d'espoir. Alors que l'économie du pays tangue, les anti-Erdogan veulent y voir un signe d'une fin de règne du président.

Les soutiens apportés par Ekrem Imamoglu, maire d'Istanbul, ou encore Mansour Yavas, maire d'Ankara, tendent également à faire penser que les choses changent et que le pouvoir de l'homme d'Etat flanche.

Des prédictions semblent toutefois encore impossibles à faire. En 2013, les manifestations du Parc Gezi s'étaient elles aussi étendues à l'ensemble du territoire et certains experts avaient également pensé que s'en était fini de l'homme fort. Reccep Tayyip Erdogan, habile tacticien, s'en était au final sorti, renforçant au passage son régime autoritaire.

Sujet TV: Tristan Dessert

Article web: Tristan Hertig

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