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"Le président américain nous considère comme l'ennemi du peuple"

Jim Acosta est le chef du bureau de CNN à la Maison Blanche. [Reuters - Kevin Lamarque]
Le journalisme sous Trump: interview de Jim Acosta, chef du bureau de CNN à la Maison Blanche / Tout un monde / 7 min. / le 15 février 2019
Privé momentanément d'accès à la Maison Blanche récemment, le correspondant de CNN Jim Acosta analyse le "climat hostile" entre les journalistes et Donald Trump dans une interview à la RTS.

Il est l'homme qui cristallise l'opposition publique entre la presse et le président américain: Jim Acosta, chef du bureau de CNN à la Maison Blanche, s’était même vu retirer son accréditation il y a quelques semaines, avant que la justice ne la rétablisse au nom de la liberté de la presse garantie par la Constitution.

Le correspondant de la RTS à Washington Raphaël Grand l'a rencontré peu avant l'annonce prévue de Donald Trump vendredi. Devant les journalistes accrédités, le président devrait décréter un "état d'urgence nationale" à la frontière mexicaine afin de pouvoir construire le mur promis à ses électeurs.

>> Lire : Donald Trump choisit "l'urgence nationale" pour financer son mur

La relation entre le chef de l'Etat et les médias est toujours plus tendue. Dernier événement en date: lors d'un rassemblement à El Paso (Texas), un partisan de Donald Trump a apparemment brutalisé un caméraman de la BBC.

Le président pousse la foule de ses supporters à hurler, à nous crier dessus.

Jim Acosta

"Malheureusement, ce genre d’épisodes est de plus en plus commun en raison du climat hostile dans lequel travaillent les journalistes de ce pays", constate Jim Acosta. "Le président, de façon répétée, nous associe aux fake news et nous considère comme l'ennemi du peuple. Dans ses rassemblements politiques, il pousse la foule de ses supporters à hurler, à nous crier dessus et bien d’autres choses. Il n’est donc pas surprenant que, des fois, ça déraille." Le journaliste de CNN craint qu'un collègue ne soit un jour blessé, voire tué. "Et nous ne pouvons tolérer cela aux Etats-Unis."

Une ligne rouge à ne pas franchir

Le journaliste dit pouvoir faire face aux gens hostiles à la presse à la Maison Blanche, comme la porte-parole. "Mais où nous devons tracer une ligne rouge", dit-il, "c'est lorsque le président des Etats-Unis commence à diaboliser la presse. C'est une ligne très claire qui ne doit pas être franchie dans ce pays, et nous le voyons faire: il le fait encore et encore, il teste cette ligne de démarcation. Et c'est à la presse aux Etats-Unis, mais aussi aux autres journalistes du monde entier de réagir, et de faire front commun ensemble pour que cette ligne ne soit pas franchie."

Le discours utilisé est une stratégie dont le but vise à influencer notre travail.

Jim Acosta

"Tout ça est un jeu", poursuit Jim Acosta. "Cette volonté d’intimider la presse, le discours qu'il utilise, c’est une stratégie dont le but vise à influencer notre travail, à modifier notre couverture des événements en nous rendant moins agressifs, moins affirmatifs et moins persistants dans nos reportages."

"Mais voulons-nous nous laisser agresser par cet intimidateur de cour d’école? À quel moment devons-nous faire face? À quel moment devons-nous nous lever et dire ça suffit? Je pense que chaque journaliste doit décider en son âme et conscience jusqu’où il est prêt à aller (…) Je pense que le comportement du président n’est pas acceptable. Mais nous ne l'appelons pas l'ennemi du peuple, nous ne l'appelons pas de toutes sortes de noms. C’est bien l’inverse qui se produit."

La protection ultime du premier amendement

Le chef du bureau de CNN reste cependant optimiste, il estime que Donald Trump ne gagnera pas cette bataille. "Nous avons ce qu'on appelle le premier amendement et il garantit notre droit à la liberté de la presse. Une partie de cette question a été testée lors de mon procès, quand ils ont essayé de me faire retirer mon accréditation. Nous sommes allés devant un tribunal fédéral et un juge nommé par Trump a convenu avec nous que le président ne pouvait pas nous priver arbitrairement de nos accréditations."

Avec le recul, Jim Acosta estime que l'objectif du président américain est d'intimider les journalistes dans l'espoir que cela affectera leur travail. "Et nous ne pouvons pas laisser cela se produire."

Aujourd'hui, le chef du Bureau de CNN à la Maison Blanche travaille à l’écriture d’un livre sur cette guerre entre le gouvernement Trump et les médias.

Raphaël Grand/oang

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