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"Le secteur bancaire est prisonnier de la situation des marchés"

Credit Suisse connaît un début d'année difficile. [Ruben Sprich]
Credit Suisse connaît un début d'année difficile. - [Ruben Sprich]
Les valeurs bancaires subissent un effondrement depuis le début de l'année. Pour Yann Goffinet, analyste financier chez Pictet, "la situation est différente qu'en 2008" bien que l'incertitude règne. Interview.

Malgré le rebond du jour, les actions des grandes banques européennes ont perdu près d'un quart de leur valeur en bourse depuis début 2016.

Le titre Credit Suisse s'est ainsi effondré de près de 45%, celui de Deutsche Bank de 40% et celui d'UBS de 30%. Un début d'année pire que celui de 2008, en pleine crise financière. L'indice bancaire du STOXX Europe 600 a perdu 24%, contre 17% sur la même période il y a huit ans.

Illustration de cette fébrilité, les contrats d'assurance contre un défaut d'un émetteur (CDS) atteignent des niveaux record.

Les coûts pour s'assurer contre un défaut de Deutsche Bank ont explosé. [Bloomberg]
Les coûts pour s'assurer contre un défaut de Deutsche Bank ont explosé. [Bloomberg]

Les explications de Yann Goffinet, analyste financier chez Pictet Wealth Management:

- RTSinfo: Que se passe-t-il actuellement pour les valeurs bancaires ?

Yann Goffinet: Comme c’est souvent le cas lors de problèmes de marché, les banques sous-performent. Les valeurs bancaires européennes ont chuté de plus 24% depuis le début de l’année, contre une baisse générale de 14%. Je suis cependant convaincu qu'il n'y a pas, du moins pour l’instant, de risque systémique ou de liquidité au sein du secteur bancaire comme lors de la crise financière de 2008.

On n’observe pas non plus de problèmes intrinsèques de bilans bancaires, uniquement des doutes sur la profitabilité des banques. A noter que le secteur bancaire américain sous-performe également de 10 points, ce qui illustre qu'on ne fait pas face à une problématique uniquement européenne.

- Certaines banques comme Credit Suisse chutent plus que d’autres, pourquoi ?

Y.G: Chez Credit Suisse, le problème se situe entre les objectifs 2018 annoncés par Tidjane Thiam et la réalité économique qui s’est dégradée depuis.

Credit Suisse illustre bien le problème actuel. Même avec un bilan renforcé, la banque subit la détérioration sur les marchés et les craintes sur l’économie chinoise. Ce n’est pas une difficulté particulière d’un établissement. Si on regarde UBS, le titre a aussi baissé depuis le début de l’année.

L'indice des valeurs bancaires européennes chute depuis le début de l'année. [Google Finance]
L'indice des valeurs bancaires européennes chute depuis le début de l'année. [Google Finance]

- La situation chinoise alimente donc la crise actuelle?

Il y a eu une première alerte en juillet-août de l’année dernière, et en ce début d’année on assiste à une résurgence des craintes, avec une deuxième dépréciation de la monnaie chinoise. Si la Chine ne contrôle plus la dépréciation du yuan, il y a  un risque de déflation pour les pays développés. Et un environnement déflationniste est problématique  pour les banques.

- Les craintes sur Deutsche Bank sont venues d’un instrument spécifique, cela veut-il dire que dans une ambiance incertaine l’instabilité se déclenche plus facilement ?

Y.G: Les discussions actuelles sur Deutsche Bank proviennent d’instruments issus de la crise de 2008, les CoCo (Contingent convertible bond). Ces instruments sont une nouvelle classe d’actifs par laquelle les investisseurs en CoCos deviennent automatiquement des actionnaires si une banque perd beaucoup d’argent.

Concernant Deutsche Bank, il y a eu un moment de flottement sur les normes comptables et une incertitude sur sa capacité de paiement des intérêts de certains CoCos a surgi. La banque a donc été obligée de communiquer lundi pour confirmer détenir assez de réserves, ce qui a fait remonter momentanément les CoCos et le titre, avant qu'il ne retombe à nouveau.

Cet exemple est représentatif de la situation actuelle sur le marché; L’incertitude est élevée, y compris sur la capacité des banques centrales d’agir de façon appropriée, et les marchés tombent sans qu’on sache jusqu'à où ça va aller. Encore une fois, le problème ne concerne pas un établissement en particulier, tout le système bancaire est prisonnier de la situation des marchés

- Comment expliquer alors la hausse des contrats d’assurances (CDS)?

Y.G: Le marché du crédit et les nouveaux instruments comme les CoCo sont peu liquides. Comme leur vente est compliquée, les investisseurs cherchent à se protéger à l’aide de CDS, leur montée (symbolisant un risque accru de défaut, ndlr) alimente les craintes. On est pris dans un cercle vicieux.

Propos recueillis par Marc Renfer

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