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Plein emploi: la détresse de "ceux qui ne trouvent pas"

Daniela, au chômage de longue durée. [RTS - Tristan Miquel]
Daniela, au chômage de longue durée. - [RTS - Tristan Miquel]
La Suisse connaît une période de quasi plein emploi et certaines entreprises ont de la peine à trouver de la main d’œuvre. Il est donc compliqué, dans ce contexte, d’expliquer que l’on est au chômage. Entre frustration et incompréhension, 15 Minutes a rencontré celles et ceux qui restent sur le carreau.

Ce matin-là, à la Fondation Mode d’emploi, Ana Costa doit revoir son CV avec sa conseillère. Cela fait maintenant un an que cette mère de famille ne trouve pas de travail dans le secteur du ménage et ça lui pèse. "Mon mari est décédé et, avec deux enfants, je n'arrivais pas à gérer. J’ai été obligée de fermer l'entreprise. Si je n’ai pas un salaire à 100%, je n'arrive pas à vivre avec mes deux enfants. Le but, c'est vraiment de sortir du chômage pour tenir la maison et pour les enfants. C'est très dur", confie-t-elle.

C'est plutôt de l'incompréhension de ne pas savoir pourquoi ils sont dans cette situation-là

Bora Studemann

Redonner le moral à Ana Costa pour qu’elle ne baisse pas les bras, c’est le rôle de Bora Studemann. Cette conseillère en développement professionnel et psychologue suit des personnes qui peinent à se réinsérer dans le milieu du travail. Alors, en cette période de quasi plein emploi en Suisse, avec un taux de chômage à 2,4% en moyenne nationale, les chômeurs se sentent-ils davantage coupables d'être sans emploi?

"C'est plutôt de l'incompréhension de ne pas savoir pourquoi ils sont dans cette situation-là, pourquoi ils n'arrivent pas à trouver (…) le fait de ne pas comprendre ce qu'ils font juste ou faux. Après, quand on est au chômage, on vit peut-être ce sentiment de honte parce qu'on n'est pas dans la norme. Et quand on n'est pas dans la norme, on peut être stigmatisé", explique Bora Studemann.

>> Ecouter le reportage de 15 Minutes :

Être au chômage en situation de plein emploi [RTS - Tristan Miquel]RTS - Tristan Miquel
Plein emploi : la détresse de ceux qui « ne trouvent pas » / 15 minutes / 14 min. / vendredi à 12:40

Elargir les recherches

Si être au chômage est pour beaucoup une période déjà compliquée, se retrouver en fin de droits augmente encore ce malaise. C’est le cas de Daniela. Cette quinquagénaire dynamique a deux événements qu’elle ne doit pas rater cet après-midi-là à Vevey (VD): son dernier rendez-vous en visioconférence avec l’Office régional de placement (ORP) et sa partie de scrabble hebdomadaire avec son amie Martine.

Daniela n’a plus le choix, elle doit élargir ses recherches pour éviter le couperet. "Je cherche dans le domaine des assurances, mais je peux faire aussi de l'administration ou de l'accueil. Là, je peux vous dire que j'ai même posé mes dossiers pour aller faire les ménages le soir dans les bureaux, parce qu'à un moment donné, vous avez beau avoir des CFC, vous parlez des langues, mais à la fin du mois, il faut payer les factures", avoue-t-elle.

La bascule vers l'aide sociale

La partie de scrabble commence, chacune des joueuses pioche ses lettres. Martine, elle aussi sans emploi, est agacée par les annonces publiées régulièrement dans les médias. "Souvent, le Conseil fédéral nous dit qu’il y a une baisse du chômage, youpie! Puis en fin de compte, des gens comme moi qui suis en fin de droits depuis plus d'une année, on n'est plus comptés."

Youhou! Moi, je cherche du travail. Mais il n’y a personne qui va vous donner une réponse

Daniela

Ce qui étonne Daniela, c’est d’entendre que les entreprises ont du mal à recruter. "Youhou! Moi, je cherche du travail. Mais il n’y a personne qui va vous donner une réponse. Ça doit être mon âge le problème. On a l'impression que c'est un engrenage quand on est là-dedans et qu'on ne va jamais s'en sortir." Si Martine et Daniela se soutiennent mutuellement, au scrabble toutefois, il n’y a pas de cadeau et Martine n’hésite pas à lui piquer la place pour mettre son mot. 

Borda Studemann, conseillère à la Fondation Mode d’emploi, et Ana Costa, en recherche d'emploi. [RTS - Tristan Miquel]
Borda Studemann, conseillère à la Fondation Mode d’emploi, et Ana Costa, en recherche d'emploi. [RTS - Tristan Miquel]

Pour Gilles Vuille, responsable des départements au sein de la Fondation Mode d'emploi, psychologue et ancien conseiller ORP, ce dernier entretien officiel, avant de sortir des statistiques du chômage, est très important. "Ces situations qui arrivent en fin de droits sont souvent très complexes. J'aurais tendance à vouloir faire comprendre à cette personne qu'on doit à ce moment-là élargir les cibles de recherches au maximum. Parce que l'assistance sociale est beaucoup plus intrusive au niveau de tout ce qui concerne l'analyse des revenus et l'analyse des dépenses. Donc cela va devenir plus compliqué", dit-il.

Selon lui, il faut à ce stade-là prendre du recul concernant le job idéal et ne pas être trop difficile. "On dit aussi que le travail appelle le travail, donc de trouver une activité salariée même si ce n’est pas celle qui est idéale n'empêche pas d’ensuite pouvoir continuer à chercher le job qu'on a finalement vraiment envie de faire", conclut-il.

Le dernier entretien de Daniela avec l’ORP s’est bien passé. "Ma conseillère est sympa parce qu'elle va quand même encore déposer mon dossier dans une ou deux entreprises", raconte-t-elle. "Et puis je vais voir si je vais aller m'inscrire au Revenu d’insertion (RI) ou pas, je vais me renseigner. Mais c’est très soudain, je ne m’y attendais pas", s'étonne Daniela.

Cléa Favre, Tristan Miquel

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