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Philippe Aguignier: "Il ne faut pas sous-estimer les capacités de l'économie chinoise à encaisser"

L'économie chinoise a très bien tiré parti de la pandémie de Covid-19, qui ralentit la production dans plusieurs pays du monde. [Reuters - China Daily]
Le ralentissement de l’économie chinoise. Analyse de Philippe Aguignier / Tout un monde / 11 min. / le 11 août 2023
Huit mois après l'abandon de la politique zéro Covid, l'économie chinoise n'est pas repartie comme attendu. Pire, plusieurs indicateurs sont désormais dans le rouge. Pour Philippe Aguinier, Pékin fait face à des problèmes de croissance structurels qui pourraient mener à des crises. Il met toutefois en garde contre tout excès d'interprétation.

Un peu moins d'un an après la fin des mesures sanitaires qui avaient littéralement paralysé le pays, un rebond économique chinois a eu lieu, mais il est resté très loin des attentes. L'indice des prix à la consommation a récemment baissé, comme celui des prix à la production, faisant penser à un début de déflation. Piliers de la croissance du pays, les exportations ont quant à elles plongé de près de 15% en l'espace de 12 mois.

Pour Philippe Aguignier, ce ralentissement structurel est à l'oeuvre depuis plusieurs années en Chine. "Il est dû au fait qu'il y a plusieurs moteurs de croissance qui ont porté l'économie chinoise pendant des années et qui s'éteignent aujourd'hui ou s'atténuent", juge le chercheur de l'Institut Montaigne.

Il y a effectivement eu un rebond mais beaucoup moins fort que prévu

Philippe Aguignier, chercheur à l’Institut Montaigne et professeur d’économie chinoise à l’INALCO.

Invité de l'émission Tout un monde vendredi, celui qui est également professeur d'économie chinoise à  l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) estime que "le premier coup de semonce" a eu lieu il y a un peu plus de deux ans avec le début de la crise immobilière, les choses s'aggravant ensuite du fait des années Covid. "Mais il y a peut-être eu une certaine confusion (...) certains observateurs et dirigeants chinois ont voulu croire que les difficultés étaient largement dues à la politique zéro Covid et qu'une fois abrogée, tout repartirait... Une fois que cela été le cas, il y a effectivement eu un rebond mais beaucoup moins fort que prévu et là, cela se traduit de manière très visible et un peu spectaculaire, par ces chiffres sur l'inflation", détaille le spécialiste.

>> Revoir le reportage du 19h30 en 2021 sur le géant chinois de l'immobilier Evergrande :

En Chine, le géant immobilier Evergrande enchaîne les défauts de paiement, menaçant ainsi des millions d'emplois.
En Chine, le géant immobilier Evergrande enchaîne les défauts de paiement, menaçant ainsi des millions d'emplois. / 19h30 / 2 min. / le 28 novembre 2021

"Ne pas surinterpréter"

Pour autant, Philippe Aguignier appelle à éviter "de surinterpréter", car il est d'après lui trop tôt pour dire que la Chine serait rentrée dans une déflation.

"La déflation est quelque chose de très grave en économie. En Europe, on ne l'a pas connue depuis les années 30 et le dernier grand épisode mondial est celui du Japon dans les années 90. C'est très grave car cela veut dire que les prix décroissent et que les acteurs économiques reportent des décisions d'investissements ou d'achats en anticipant une baisse continue des prix qui se poursuit", explique l'expert.

Questionné pour savoir si ces mauvais résultats économiques pourraient toutefois avoir une influence sur la politique et sur la légitimité du Parti communiste auprès de la population, Philippe Aguignier tempère également. "Cela pourrait remettre en cause sa légitimité mais ni à court ni à moyen terme. On est vraiment sur le très très long terme".

Et d'ajouter: "Je crois aussi qu'il ne faut pas sous-estimer les capacités de l'économie chinoise à s'adapter, à se transformer et à encaisser des chocs qui peuvent parfois être violents".

Un ralentissement et une situation explosive

Pour autant, le ralentissement de la croissance est sans doute parti pour durer et de nouveaux plans de relance ne semblent pas être à l'ordre du jour.

"La réponse face aux épisodes de ralentissement économique était jusqu'à présent des plans de relance. Mais le problème, c'est que ces plans sont en général financés par la dette et que les investissements n'ont pas toujours été extrêmement productifs. Cela crée donc des déséquilibres financiers et aujourd'hui on a le sentiment que les dirigeants ont intégré le fait qu'un plan de relance résoudrait le problème à très court terme mais que cela reviendrait dans 6 mois, un an ou deux ans. Ils essaient donc d'éviter cela pour l'instant", estime l'économiste.

Mais alors, que compte faire la Chine? Philippe Aguignier estime qu'il n'existe pas encore de consensus sur les moyens de parvenir à une sortie de crise. "Les problèmes sous-jacents sont très complexes (...), il y a par exemple un problème très grave qui est celui du surendettement des autorités locales. Beaucoup n'ont pas les moyens de rembourser les emprunts", analyse-t-il.

Des autorités locales dont le financement était d'ailleurs souvent fondé sur l'immobilier et les ventes de terrains. Une mécanique qui ne fonctionne plus à l'heure de la crise immobilière. "Les autorités locales sont aussi celles qui délivrent un certain nombre de services sociaux essentiels à la population: l'éducation, la santé, les retraites. Toucher à ça, c'est explosif", ajoute le chercheur.

>> Réécouter cet autre reportage de Tout un monde sur la reprise difficile pour les secteurs-clés de l'économie chinoise :

Quelques personnes se baladent devant des boutiques à Beijing en mars 2023. [Keystone/AP Photo - Andy Wong]Keystone/AP Photo - Andy Wong
Malgré la reprise, les secteurs-clés de l'économie chinoise peinent à décoller / Tout un monde / 6 min. / le 6 mars 2023

Mauvaise nouvelle pour l'Europe

Ce ralentissement qui devrait donc s'inscrire dans la durée n'est pas une bonne nouvelle pour Pékin. Il devrait également avoir de forts impacts dans le reste du monde et peut-être plus particulièrement en Europe.

"Si la croissance chinoise ralentit, on pourra vendre moins de choses à la Chine. Il y aura donc un effet sur les exportations. Pourtant, on ne peut pas dire qu'on vende tant de choses à la Chine. En réalité, on lui achète beaucoup plus de choses et paradoxalement, le problème est peut-être là", prévoit Philippe Aguignier.

Il y aura une tentation de déverser ces surplus vers d'autres marchés et l'Europe sera en première ligne

Philippe Aguignier, chercheur à l’Institut Montaigne et professeur d’économie chinoise à l’INALCO.

Pour le professeur, le problème de surcapacités chinoises dans beaucoup de secteurs, qui est le résultat d'un modèle économique fondé davantage sur l'investissement que la consommation, fait que le surplus ne peut être absorbé par une demande domestique trop faible.

"Il y aura une tentation de déverser ces surplus vers d'autres marchés et l'Europe sera en première ligne. On va probablement avoir un déferlement d'importations en provenance de Chine, avec des résultats qui peuvent être dévastateurs", prédit Philippe Aguignier.

"C'est ce qui est arrivé il y a quelques années avec les panneaux solaires où toute l'industrie en dehors de Chine a pratiquement été détruite (...) on pourrait maintenant voir ça dans le domaine des véhicules électriques, où la capacité de production en Chine est bien supérieure à ce que le marché domestique peut absorber", conclut-il.

Propos recueillis par Céline Tzaud

Adapation web: Tristan Hertig

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