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En Turquie, les producteurs de noisettes se soulèvent contre le géant Ferrero

Fermiers turcs contre Ferrero: la noisette de la discorde. [Keystone - Mehmet Kacmaz]
Fermiers turcs contre Ferrero pour le Nutella: la noisette de la discorde / Le Journal de 8h / 1 min. / le 30 octobre 2021
A perte de vue, les noisetiers turcs déroulent leurs feuilles à peine roussies en ce début d'automne. Mais sous les frondaisons humides, la colère gronde contre la mainmise du géant de la pâte à tartiner Ferrero, accusé par les producteurs de casser les prix.
Producteur de noisettes à Sakarya, Aydin Simsek dénonce le monopole de Ferrero. [AFP - Ozan Kose]
Producteur de noisettes à Sakarya, Aydin Simsek dénonce le monopole de Ferrero. [AFP - Ozan Kose]

"Ils ont le monopole, donc les mains libres. Mais ils achètent encore plus bas que l'an dernier. Cette année, je ne leur vendrai rien", prévient Aydin Simsek, 43 ans, surveillant du coin de l'oeil la douzaine de ramasseurs kurdes accroupis, payés 12 euros la journée, qui enfournent à pleines poignées les noisettes dans de grands sacs de toile.

Pour Mehmet Sirin, 25 ans, la capuche relevée sur sa casquette pour se garder de la bruine, "c'est de l'exploitation: les noisettes nous reviennent sous forme de Nutella, mais nous, on en tire bien moins de profit qu'eux. C'est une injustice pure."

Premier producteur mondial

Selon la FAO, le Fonds pour l'agriculture des Nations unies, la Turquie, assure environ 70% de la production mondiale et 82% des exportations, très loin devant l'Italie (20%) et quelques pays qui se partagent les miettes, dont l'Azerbaïdjan, la Géorgie et l'Iran.

Sur les 600 à 700'000 tonnes de noisettes ramassées, environ 300'000 partent à l'export: "Comment se fait-il que seuls les étrangers en tirent profit?" s'insurge le président de la chambre de commerce d'Istanbul, Omer Demir.

"Bon sang, ils nous les achètent environ 2 euros le kilo et les revendent 20 euros: comment on en arrive là? Il faut leur barrer la route."

Personne ne peut s'aligner

Surtout qu'en fournissant outils et engrais aux paysans et en pré-payant leur récolte à un prix fixé à l'avance, les principaux grossistes, comme ceux qui fournissent le groupe italien, "ne laissent aucune chance aux autres", regrette-t-il.

Car c'est vrai, personne ne peut s'aligner. Cabbar Saka le reconnaît, il n'a pas eu le choix: "Que pouvais-je faire? J'avais besoin d'argent pour le mariage de ma fille... J'ai vendu mes 1600 kg de noisettes au grossiste".

Il a reçu l'argent tout de suite quand le Bureau agricole (TMO, l'autorité publique de régulation) paie lui à tempérament.

Crainte de ne rien vendre

Le district d'Akyazi compte 5500 producteurs déclarés. Devant les maisons, la récolte sèche en plein air sur des bâches, quelques jours pas plus, en surveillant constamment le ciel pour éviter les pluies.

Une vue aérienne des agriculteurs préparent les noisettes à sécher au soleil à Sebinkarahisar, début octobre. [AFP - Mahmut Ahmet Yeles]
Une vue aérienne des agriculteurs préparent les noisettes à sécher au soleil à Sebinkarahisar, début octobre. [AFP - Mahmut Ahmet Yeles]

"Ferrero et les grands acteurs du marché tirent les prix à la baisse", dénonce Sener Bayraktar, le président de la Chambre de commerce locale, qui accuse le géant italien de gonfler les estimations de récoltes pour peser sur les cours. "Mais la crainte des producteurs, s'ils se plaignent, c'est de ne plus pouvoir vendre", relève-t-il.

"Ferrero a mis en place un système qui ne laisse aucune chance" aux acteurs locaux, assure Sener Bayraktar, qui appelle les autorités à soutenir plus franchement les acteurs indépendants et ces derniers à relever leurs prix, pour inciter les producteurs à leur réserver leurs noisettes.

"Respect des lois du marché"

Sollicité par l'AFP, le géant italien se défend: "Nous n'achetons pas directement aux producteurs, nous passons par un réseau d'acheteurs et de fournisseurs spécialisés (...) en respectant les lois du marché et sa dynamique", explique un porte-parole du siège, qui rappelle que Ferrero est présent en Turquie depuis plus de 35 ans.

L'approvisionnement turc en matière première étant indispensable à la production du Nutella et des rochers, le groupe a créé en 2014 une filiale locale, Ferrero Findik (noisettes, en turc) qui gère six usines de traitement (lavage, décoquillage et torréfaction) et un site de production de Nutella.

En 2014, le groupe a aussi racheté le roi de la noisette, Oltan, ce qui a fini de lui assurer le contrôle du marché et des cours.

Transformer le produit directement

Pour soutenir les producteurs de noisettes - 76'500 enregistrés - le ministère de l'Agriculture les pousse à se lancer eux-mêmes dans la transformation du produit au lieu de vendre seulement leur matière première, ce qui leur assurerait un meilleur revenu.

L'an dernier, Aydin Simsek avait vendu toute sa récolte à Ferrero. Cette année, il prévoit de la réserver intégralement, 15 tonnes espère-t-il, au TMO. "Quand Ferrero agira de bonne foi, je serai ravi moi aussi de manger du Nutella. Mais pas à ce prix."

jfe avec afp

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