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Les syndicats peinent à compenser la baisse du nombre d'affiliés

Les cols blancs dans l'industrie, la pharma et les assurances ont tendance à rallier les syndicats.
Les cols blancs dans l'industrie, la pharma et les assurances ont tendance à rallier les syndicats / 19h30 / 1 min. / le 1 mai 2019
Le taux de syndicalisation ne cesse de reculer en Suisse depuis 15 ans. Face à la désindustrialisation, les syndicats tentent d'attirer les travailleurs du secteur tertiaire, avec plus ou moins de succès.

Historiquement bien implantés dans l'industrie, la construction et l'artisanat, les syndicats voient le nombre de leurs affiliés fondre comme neige au soleil. De 25% en 2002, la part des travailleurs cotisants auprès d'un syndicat est tombée à moins de 18% en 2017.

"La proportion du taux de syndiqués provenant de l'industrie a baissé, dû notamment à la désindustrialisation. Nous le constatons depuis des années", confirme Lucas Dubuis, porte-parole d'Unia.

Face à ce constat, les syndicats tentent de séduire les employés du tertiaire. Le secteur absorbe en effet toute la croissance des emplois depuis le début des années 1990:

Malgré la domination du tertiaire sur le marché de l'emploi, seule une infime partie est affiliée auprès d'un syndicat. Les deux faîtières, l'Union syndicale suisse (USS) et Travail.Suisse, n'ont pas souhaité communiquer de chiffres précis sur ce secteur. Mais selon des estimations, le taux d'affiliés employés dans le tertiaire n'atteindrait pas 10%, soit bien moins que la moyenne.

Une société plus individualisée

"La société a évolué, avec une forme d'individualisation, qui n'a pas aidé à la syndicalisation", explique au 19h30 Denise Chervet, directrice de l'Association suisse des employés de banque (ASEB).

Denise Chervet note aussi une précarisation des conditions de travail: "Les gens ont peur de perdre leur emploi et pensent qu'en étant syndiqués, ils sont fragilisés. Il y a aussi une forme de résignation des personnes qui pensent que de toute façon, elles ne pourront rien influencer, donc pourquoi s'organiser. Ces problèmes ne sont pas propres aux banques, mais aux services en général."

"Les gens ont peur de perdre leur emploi et pensent qu'en étant syndiqués, ils sont fragilisés.

Denise Chervet, directrice de l'Association suisse des employés de banque (ASEB).

Digitalisation, travail mobile ou à domicile seraient d'autres facteurs éloignant le sentiment de collectivité au travail. Tout comme les grandes entreprises internationales, qui emploient beaucoup d'expatriés, empêchant de donner un sentiment collectif.

Stratégie payante, mais insuffisante

Le plus grand syndicat de Suisse, Unia, a fait le pari d'investir dans le secteur tertiaire depuis sa naissance en 2005. "Aujourd'hui, plus d'un quart de nos membres viennent du tertiaire. Dans ce secteur, le taux de syndiqués augmente de manière constante, globalement de 3% par année", affirme le porte-parole, refusant toutefois lui aussi de communiquer des chiffres précis sur le taux de syndicalisation dans les services.

En se positionnant notamment dans la vente et dans l'hôtellerie-restauration, Unia a pu combler l'érosion du secteur industriel. Mais en 2018, les efforts n'ont plus suffi, avec une progression moins forte du secondaire et une baisse plus marquée du tertiaire: "Dans la construction, nous avons perdu de nombreux maçons, qui sont partis au Portugal, dû à l'embellie économique sur place. Dans la vente, il y a eu aussi des pertes d'emplois retentissantes. La fermeture d'OVS, par exemple, a pesé sur nos effectifs", explique Lucas Dubuis.

11 fédérations ont perdu des membres

Selon le dernier rapport des effectifs de l'USS, plus grande faîtière syndicale de Suisse avec plus de 350'000 membres, seules trois des 16 fédérations ont vu leurs effectifs augmenter durant l'année 2017 (la dernière année sous revue): l'ASEB (+44 membres), AvenirSocial (+37) et Kapers (+35), toutes trois actives dans le tertiaire. Deux ont maintenu leurs effectifs, tandis que les 11 restants ont perdu des membres.

"Ces dernières années, on a réussi à stabiliser le nombre de membres à plus 7900, ce qui correspond à environ 10% des employés de banque, si l'on exclut la direction", affirme la directrice de l'ASEB.

Cette relative stabilité des syndiqués depuis 2012 est toutefois à mettre en rapport avec les lourdes pertes essuyées auparavant: "Dans les années 90, nous avions plus de 20'000 membres. Donc il y a eu une réduction importante", souligne-t-elle.

Une chute qui n'est pas proportionnelle au nombre d'employés dans le secteur financier, resté stable autour de 110'000 emplois.

Les nouveaux syndiqués "cols blancs":

Derrière les chiffres qui font pâle figure, l'arrivée de nouvelles catégories de syndiqués crée la surprise. Ce sont les syndiqués dits "cols blancs": employés d'assurances, ingénieurs, informaticiens, employés d'entreprises de biochimie ou de pharma, notamment.

"Ce sont de nouveaux corps de métiers qui ne connaissaient pas les syndicats et qui nous ont rejoints", confirme Yves Defferrard, responsable de la section vaudoise d'Unia.

Les délocalisations touchent tout le monde et poussent les ingénieurs à rejoindre les rangs ouvriers.

Yves Defferrard, responsable de la section vaudoise d'Unia.

Plusieurs facteurs expliquent ce renouveau. "Il y a d'abord les délocalisations, qui touchent tout le monde, et qui poussent les ingénieurs à rejoindre les rangs ouvriers. Ensuite, on a eu des résultats dans ce canton, avec plusieurs sites et des centaines d'emplois qui ont été sauvés, donnant une relative confiance. Et finalement, une pression sur des salaires dans certains corps de métiers, comme les architectes, là où elle n'existait pas auparavant. En s'organisant, on peut faire face à ces pressions."

Dernière exemple en date de cette adhésion de cols blancs: il y a moins de deux ans, lorsque 160 employés de l'assurance Generali à Nyon se sont fédérés auprès d'Unia pour s'opposer à une restructuration.

Selon Yves Defferrard, il s'agissait des premiers syndiqués en Suisse provenant du secteur des assurances, et qui auraient généré, par la suite, d'autres affiliations, comme la protection juridique DAS, rachetée en 2018 par Allianz Suisse.

Feriel Mestiri

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