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"Le Havre", un poème sur l'immigration

Le Havre, d'Aki Kaurismäki
Le Havre, d'Aki Kaurismäki
Cinéaste connu pour transformer un récit en poésie picturale, Aki Kaurismäki demeure fidèle à son univers pour aborder la thématique de l'immigration. Le Finlandais a posé ses bagages dans la ville portuaire du Havre, qu'il transforme en un décor suspendu dans le temps.

La note d’intention d’Aki Kaurismaki à propos de son film souligne, à propos du sort réservé aux extracommunautaires tentant d’entrer dans l’Union européenne qu’il n’a "…pas de solution à ce problème, mais il m’a paru important d’aborder ce sujet dans un film qui, à tous égards, est irréaliste".

L’immigration, les clandestins, les flux migratoires, la vieille Europe confrontée à l’arrivée massive des "autres". L’Europe du Nord, cet ensemble disparate qui fut autrefois très autarcique, est désormais mieux connu chez nous par ceux qui lisent les romans des meilleurs écrivains de ces pays désormais plus souvent traduits. Ceux-là savent que l’arrivée des immigrants a fait monter là-bas, comme ici d’ailleurs, des nationalismes parfois extrémistes. Les néo-nazis y ont creusé leur sillon nauséabond.

La fraternité comme seule richesse

Aki Kaurismäki est très au fait de tout cela, mais ne désire pas en parler au premier degré. Ce cinéaste est un poète. Tout vrai poète transcende la réalité. Il a sillonné les côtes de Gênes jusqu’aux Pays-Bas, il a trouvé Le Havre pour ancrer son l'histoire de son 28e film (en français s’il vous plaît), qui tient en un paragraphe: Marcel Marx est un ex-écrivain raté mais bohème patenté qui s’est exilé dans la ville portuaire du Havre.

Il y exerce le métier de cireur de chaussures, car ainsi il se sent plus proche du peuple. Il a épousé la femme qu’il aime, Arletty. Sa vie se décline chichement entre son amour et ses amitiés, ses soucis, le café du coin, et sa chienne Laika (la propre chienne de Kaurismäki) . Un jour, son tranquille exil est bouleversé par celui d’un enfant africain clandestin échappé d’un conteneur déposé sur le port. Marcel saisit la bannière de la fraternité et de la lutte contre la mécanique juridique de l’Etat de droit. Quel droit…

Une pluie d’étoiles

Thème mille fois traité. Révolte mille fois déclinée, filmée, dite, photographiée. Mais le lutin finlandais aimant l’alcool et le rock&roll, le surréaliste assumé,coupe court à tout ce à quoi l’on peut s’attendre. D’abord les personnages lunaires et magnifiques, les tronches invraisemblables, le concert jubilatoire du rockeur exhumé "Little Bob", qui permettra de payer le passage vers la Grande-Bretagne du petit Africain, les dialogues vif argent récités comme le feraient de mauvais acteurs amateurs alors qu’ils sont tous extraordinaires, comme le veut la patte du cinéaste.

Puis les décors, bric-à-brac sorti tout droit des années 50, ces lieux figés dans le temps, cet irréalisme ancré dans la réalité. Une réalité d’une poésie et d’un humour inégalables. Chez Kaurimäki, tout est dans rien. Il nous laisse une féérie dans le cœur, il est le magicien qui transforme le sacrément moche en une pluie d’étoile.

De Cannes, Laurence Mermoud

PS: chapeau bas à André Wilms, Kati Outinen, Jean-Pierre Darroussin, Blondin Miguel, Elina Salo, Evelyne Didi, Quoc-Dung Nguyen, Laika, François Monnié, Roberto Piazza, Pierre Etaix, Jean-Pierre Léaud.

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