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"Polisse", une fellation pour un portable

Polisse
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Le film le plus abouti et surtout le plus bouleversant de ce début de Quinzaine est sans conteste "Polisse", film poignant de Maïwenn qui plonge le spectateur dans le pénible quotidien des policiers de la Brigade de la protection des mineurs. Avec qui plus est, un casting brillant: Karin Viard, Joey Starr, Marina Foïs et consoeurs mériteraient de remporter une Palme collective.

Cela pourrait être un documentaire. Ou une série télévisée. Ou encore une chronique. Mais c’est beaucoup mieux que cela. Polisse possède à la fois la vérité, le sens de la proximité et le souffle des trois genres. Certains se gaussaient de voir le film de Maïwenn en compétition à Cannes. Comment l’actrice du Cinquième élément, la réalisatrice de deux films sympathiques mais mineurs (Le Bal des actrices en 2009 et Pardonnez-moi en 2006), pouvait-elle prétendre à cet honneur ? Et bien justement, son film n’affiche aucune prétention si ce n’est celui de balayer celle des autres, par sa justesse, sa précision, son rythme, le jeu de vérité de ses acteurs. Dans cette fameuse compétition, Polisse est à ce jour le film le plus bouleversant et le plus attachant que l’on ait vu.

La vie quotidienne de la Brigade de Protection des mineurs. Dix flics, des hommes et des femmes, qui voient défiler sous leurs yeux les crimes les plus sombres et les plus obscurs: pédophilie, inceste, maltraitance physique, exploitation. Assis derrière leurs ordinateurs, ils écoutent, confrontent, poussent à l’aveu, protègent. Ils vivent pratiquement 24 heures sur 24 ensemble, partagent tout, histoire de survivre à ce qu’ils entendent.

Des larmes et des rires

Et Maïwenn pose la caméra là où il faut: non pas seulement sur les victimes et leur histoire. Non, elle s’arrête sur les dépositaires des drames: les flics. Elle fait le portrait de ces flics-là, de leur engagement, de leurs convictions et dans les yeux desquels se reflètent la misère des autres. Et comme pour mieux encore nous inscrire, nous spectateurs, dans ces drames cachés, elle le fait avec humour, désarçonnant et désamorçant, en permanence.

Que dire à une jeune fille, dont le maquillage maladroit trahit des traits d’enfant, qui raconte qu’elle a fait une fellation pour récupérer son téléphone portable parce que «c’était un super portable»? Qu’expliquer à un père, musulman, qui a décidé de marier sa cadette de 14 ans ? Comment arrêter un notable qui s’enorgueillit en toute impunité de faire jouir sa propre fille toutes les nuits ? Que faire d’un petit garçon de 8 ans abandonné par sa mère? Ou de cette ado qui accouche d’un enfant mort-né ?

Confrontés en permanence au pire, les flics font de leur mieux, mais ils gueulent, s’engueulent, piquent des fou-rires, monumentaux, aux moments les moins choisis, vont danser la nuit, boivent des coups, tentent de survivre à ce calvaire psychologique. Et ne survivent pas toujours.

Polisse, c’est Fred, Nadine, Iris, Mathieu, Chrys, Sue Ellen, Balloo, Bamako, Nora.

De Cannes, Philippa de Roten

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