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Intérêts croisés entre Swissmedic et les pharmas

Le fonctionnement de Swissmedic est financé à 80% par les grands groupes pharmaceutiques. [Gaëtan Bally]
Le fonctionnement de Swissmedic et de certains de ses experts pose la question de son indépendance. - [Gaëtan Bally]
Plus des deux tiers des experts consultés par Swissmedic lors de l’introduction de nouveaux médicaments sur le marché suisse ont des liens d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique, révèle une enquête de la TSR. Certains experts détiennent même pour plusieurs centaines de milliers de francs d’actions dans ces firmes.

Swissmedic homologue-t-elle les médicaments sur la base de leurs seules vertus thérapeutiques ou également sur la base d’autres intérêts? Sur l’immense marché de la santé helvétique, Swissmedic occupe une place cruciale. Son rôle: autoriser les médicaments à la vente en veillant à la sécurité des patients.

Pour son travail, Swissmedic fait appel à des experts. Un premier comité est composé de sept membres permanents, un second de 33 experts extraordinaires officiant sur appel. Au total, 40 spécialistes qui remplissent lors de leur nomination une déclaration d’intérêts et la tiennent à jour chaque année.

Confrontation

En vertu de la nouvelle loi sur la transparence, l’émission Temps Présent a obtenu ces déclarations d’intérêts.

Le document de quelque 90 pages (voir ci-contre) contient une quarantaine de déclarations d’intérêts. Sur la totalité des 40 experts (ordinaires et extraordinaires) dont les déclarations d’intérêts ont été remises à Swissmedic, on observe que:

• Sur les 38 experts qui ont remis leur déclaration d’intérêts, 25 mentionnent des liens avec l’industrie pharmaceutique (66%).

• Principaux liens: l’existence de mandats d’expertise, de conseiller ou d’administrateur auprès de sociétés pharmaceutiques et/ou le financement de leur institution de recherche par le secteur privé.

• Dans sept cas au moins (23%), des experts extraordinaires déclarent posséder des actions de firmes pharmaceutiques dont Novartis, Roche, GSK, Merck, etc.

La TSR a confronté certains de ces experts à leur déclaration. L’ophtalmologue bâlois Jürg Messerli, qui possède des actions Roche et Novartis pour plus de 400'000 francs (voir détail ci-dessous), réfute néanmoins le risques de conflits d’intérêts. «En renonçant à boursicoter, et en adoptant une attitude indépendante, cela me semble suffisant pour garantir l’indépendance et travailler pour Swissmedic». Son confrère genevois, Martin Tramèr, détenteur de 5000 francs d’actions Roche abonde: «Ces actions ne me posent pas de problème. Mais si Swissmedic me dit de vendre parce qu’ils veulent des règles claires, ça ne me pose pas de problème non plus.»

Conflits d’intérêts potentiels

Etre détenteur d’actions n’est qu’une partie du problème. Activités de recherche ou institutions partiellement financées par l’industrie pharmaceutique, mandats rémunérés d’expertise et bourses de formation continue, les liens entre les experts de Swissmedic et le secteur privé sont donc étroits.

A la lecture des déclarations, on apprend aussi que 13 experts sur 40 conseillent les pharmas lors de la phase de développement d’un nouveau médicament. Président du Comité des experts de Swissmedic, le professeur bâlois Stefan Krähenbühl, précise les règles du jeu: «Quand Swissmedic doit contrôler un médicament d’une entreprise qui me soutient, je n’ai pas le droit de participer à son évaluation». En clair, il faut se récuser. Une pratique courante, affirme l’Institut, sans toutefois donner plus de détails.

«La plupart des experts ont des liens d’intérêts. Ils ont des contacts avec l’industrie, ce n’est pas possible autrement. En Suisse, il y a peu d’experts de ce niveau; le bassin de population est petit et la pharma très significative», se défend Stefan Krähenbühl. Le sujet reste pourtant tabou comme le concède Matrin Tramèr: «Je crois que ça embête tout le monde. On ne sait pas ce qui est permis, quelle est la tolérance, et on n’a pas l’habitude de parler de ça. C’est gênant».

Manque de contrôle

Présidente de Swissmedic, Christine Beerli reconnaît que la «sensibilité sur ces questions de liens d’intérêts a augmenté. Nous allons dans l’année qui vient revoir notre Codex comme le fait l’Union européenne pour devenir plus strict, mais surtout plus ouvert, plus transparent». L’ex-conseillère nationale radicale souhaite aussi que Swissmedic publie toute la documentation de son propre chef et non plus sur demande.

Encore faut-il améliorer la qualité du contrôle que Swissmedic applique aux déclarations remises par ses experts. Dans les documents fournis par l’Institut, il manquait ainsi la mise à jour de deux déclarations d’intérêts pour l’année 2010. Des déclarations remises à Swissmedic le 14 juin 2011 seulement, suite aux demandes de la TSR. Enfin, les déclarations d’intérêts sont parfois incomplètes. Les montants perçus ou les firmes qui rémunèrent ces experts n’apparaissent pas toujours. Difficile aussi de savoir exactement quand ces sociétés pharmaceutiques étaient en liens professionnels avec les experts de Swissmedic.

Ron Hochuli et Yves Steiner/gax


Quel contrôle?

«Swissmedic applique un contrôle strict des déclarations d’intérêts», jure Christine Beerli, présidente du Conseil de l’institut. Vendredi 10 juin, un cas de déclaration imparfaitement remplie a été renvoyée à son expéditeur par ce même Conseil. «Une fois celle-ci dûment complétée, nous dirons si cette personne peut faire partie des experts de Swissmedics». Reste qu’à la lumière des documents en possession de la TSR, les contrôles effectuées par l’Institut manquent parfois leur cible. Quelques exemples:

• Le Professeur Jürg Messerli déclare ne pas avoir d’intérêts financiers en lien avec une industrie pharmaceutique. Pourtant, il annexe à sa déclaration son portfolio d’actions qui contient pour 316'688 francs d’actions Roche et 109'710 francs d’actions Novartis. Aucune correction de sa déclaration d’intérêt n’a été demandée par Swissmedic.

• Contre rémunération, le Professeur Christoph R. Meier indique avoir effectué en 2009 des études d’évaluation pour deux entreprises, Nycomed et Takeda. Aucun montant ne figure sur sa déclaration. Son institution collabore aussi avec Actelion, AstraZeneca, Galderma, Merck, Merck-Serono, Novartis, Nycomed, Roce, Solvay et Takeda. Là encore, aucun détail n’est fourni sur le type, la durée ou le montant de ces collaborations.

• Plusieurs professeurs déclarent recevoir des financements de l’industrie privée pour des activités de recherche, de formation et de participation à des colloques et autres conférences. Le montant et la durée de ces financements ne sont que rarement indiqués. De même que le nom des bailleurs de fonds.

Confrontée à ces exemples, Christine Beerli conteste que «ces déclarations ne sont pas complètes». Elle reconnaît un «manque de précision» ce qui à l’avenir sera corrigé, notamment s’agissant de la détention d’actions de sociétés pharmaceutique. Comme au niveau européen, «un plafond entre 3% et 5% d’actions d’une firme pharmaceutique devrait être instauré».

R.H. et Y.S.

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Conflit d’intérêts: de quoi parle-ton?

Avant le recrutement de ses experts externes, Swissmedic exige de ces derniers une déclaration d’intérêts. Une déclaration mise à jour année après année. Dans la documentation fournie par Swissmedic à Temps Présent, on constate que six types de liens d’intérêts sont couverts par la déclaration remplie par les experts ordinaires et extraordinaires.

• Droit de propriété sur une préparation (comme un brevet)
• Intérêt financier direct dans une ou plusieurs sociétés.
• Mandats d’expertise, de conseiller ou d’administrateur pour une ou plusieurs entreprises pharmaceutiques
• Activités de recherche pour le développement d’un médicament
• Institution financée en partie par l’industrie pharmaceutique
• Embauche de personnes proches

L'émission de Temps présent

Le Mediator a provoqué des centaines de morts en France. C'était un médicament dangereux. Et en Suisse? Il y a aussi des victimes des médicaments. Et chez nous aussi, la question de la surveillance des médicaments est sensible, surtout dans un pays où les industries pharmaceutiques sont financièrement omniprésentes. Nos experts et nos médecins sont-ils sous influence?

"Faut-il avoir peur des médicamnents?" Enquête sur la question qui dérange, Temps présent du 16 juin 2011.