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En Suisse, une personne sur six dit avoir déjà souffert d’un burn-out

Une femme derrière son ordinateur, assise au bureau. Les lunettes dans une main, elle se prend la tête avec l'autre. En surimpression, un graphique sur la prévalence du burn-out en Suisse. [AFP - Garo/Phanie]
17% de la population suisse et 25% des Suisses romands ont déjà subi un burn-out / La Matinale / 1 min. / le 19 octobre 2023
Dix-sept pour cent de la population suisse indique avoir déjà été victime d'un burn-out, aussi appelé syndrome d’épuisement professionnel, révèle jeudi le sondage SSR "Comment va la Suisse?". La Suisse romande, les femmes et les personnes à faibles revenus se disent nettement plus touchées que la moyenne.

La souffrance au travail est une réalité pour de nombreuses personnes en Suisse. Dix-sept pour cent de la population helvétique affirme ainsi avoir déjà souffert du syndrome d'épuisement professionnel. Et pas moins d'un Suisse sur quatre estime être à risque de burn-out dans son contexte professionnel actuel. C'est ce qui ressort des nouveaux résultats issus du grand sondage "Comment va la Suisse?" publiés jeudi.

La Suisse romande plus touchée

Toutes les catégories de la population ne semblent toutefois pas touchées de la même manière. La prévalence du burnout semble particulièrement élevée chez les francophones (24,1%), nettement au-dessus de ce que déclarent les personnes de langue allemande (15,1%), italienne (14,7%) ou rhéto-romanche (5,3%).

Comment expliquer cet écart? La psychologue Nadia Droz, spécialiste de la santé au travail, rappelle que le burn-out n'est pas un diagnostic reconnu et n'est pas un syndrome clairement défini. Selon elle, une des explications pourrait par conséquent découler d'une "lecture différente" de ce terme "selon la langue et les interprétations individuelles qui sont légitimes au vu de ce manque de définition". Et de mettre en garde contre une interprétation trop rapide: "Ce sondage ne permet pas de conclure qu'il vaut mieux aller travailler en Suisse alémanique qu'en Suisse romande."

Professeur à l'Institut de psychologie du travail et des organisations de l'Université de Neuchâtel, Laurenz Meier ne se hasarde pas non plus à émettre un avis définitif sur la question. Tout au plus relève-t-il que cette différence entre la Suisse romande et la Suisse alémanique se retrouve pour d'autres troubles d'ordre psychologique. C'est notamment le cas pour la dépression, comme en témoignent les chiffres de l'Office fédéral de la statistique.

Différence entre les femmes et les hommes

A l'instar des considérations linguistiques, on retrouve un écart significatif selon le genre des personnes interrogées. Les femmes reconnaissent plus souvent que les hommes avoir été victimes d'un burn-out durant leur carrière (18,7% contre 14,8%), montre le sondage. C'est particulièrement vrai pour les femmes de 40 à 64 ans (22%).

"Pour le burn-out comme pour d'autres maladies psychologiques, on sait que les femmes sont plus à même d'exprimer leur état et de consulter que les hommes", relève Nadia Droz. Pourtant, cela ne veut pas dire que la prévalence réelle du syndrome d'épuisement professionnel diffère selon le genre, souligne-elle.

>> "Burn-out, l’épuisement professionnel quand la coupe est pleine" :

Podcast Dingue. [RTS]RTS
Burn-out, l’épuisement professionnel quand la coupe est pleine / Dingue / 33 min. / le 4 septembre 2023

Laurenz Meier avance d'autres hypothèses. Il n'est pas exclu, selon lui, que la différence entre les genres soit liée à d'autres paramètres non pris en compte dans l'enquête. Les femmes sont par exemple surreprésentées dans la santé et les soins à la personne, un secteur réputé pour ses conditions de travail difficiles. Le fardeau du travail domestique, qui repose encore majoritairement sur les femmes, peut aussi être un facteur aggravant de la surcharge de travail professionnelle, suppose le professeur.

Moins on gagne, plus on souffre

Les revenus semblent être un facteur déterminant dans la prévalence du burn-out. Plus on gagne bien sa vie, moins on souffre du burn-out, montre le sondage SSR. Près de 30% des personnes issues d'un ménage gagnant moins de 3000 francs par mois disent avoir éprouvé le syndrome d'épuisement professionnel. A l'autre bout de l'échelle, "seulement" 13% des personnes bénéficiant d'un salaire de plus de 9000 francs ont déjà connu le burn-out.

Pour Laurenz Meier, au-delà de la charge de travail, les gratifications qu'on reçoit en retour de notre labeur - dont le salaire fait partie - sont également importantes pour comprendre la survenue ou non d'un burn-out. "A partir d'un certain revenu, le salaire n'est pas un facteur de motivation au travail", note pour sa part Nadia Droz. Or, pour les plus bas revenus, ce seuil n'est pas atteint et le salaire ne suffit pas pour vivre correctement, "ce qui représente un risque de stress chronique", précise-t-elle.

Le taux d'occupation importe peu

Paradoxalement, le burn-out n'épargne pas davantage les personnes qui travaillent à temps partiel que celles qui travaillent à temps plein, selon le sondage. Dans les deux catégories, la prévalence est quasi identique. "Pas étonnant, réagit le professeur Laurenz Meier. On croit que la charge de travail explique le burn-out, mais ce n'est pas le cas. C'est avant tout la densité, l'intensité du travail qui importe". Par exemple, avoir cinq heures ou dix heures pour accomplir une même tâche, c'est très différent en termes de charge ressentie, explicite-t-il.

Nadia Droz abonde dans son sens: "Le temps partiel n’est pas protecteur. Il peut l’être, notamment pour des personnes qui ont souffert d’un burn-out et qui ont décidé de baisser leur taux d’occupation, mais ne l’est pas forcément." Il en va de même, d’ailleurs, du métier ou de la position hiérarchique. "Aucun métier ni aucune position n’est un rempart contre le burn-out", conclut la psychologue lausannoise.

Didier Kottelat

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La difficile définition du burn-out

Il n'existe pas de définition scientifique unifiée à travers le monde pour qualifier le burn-out, appelé aussi syndrome d'épuisement professionnel.

Pour remédier à ce problème, des chercheurs de l'unité d'épidémiologie professionnelle et environnementale d'Unisanté à Lausanne ont proposé en 2021 de définir le burn-out comme "un état d'épuisement émotionnel et physique liée à une exposition prolongée à des problèmes au travail".

Dans sa dernière classification internationale des maladies (CIM-11) en vigueur depuis le 1er janvier 2022, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ne considère pas le burn-out comme une "maladie", mais comme un "phénomène lié au travail".

Méthode

Le grand sondage "Comment va la Suisse?" a été réalisé entre avril et mai 2023 par l'institut gfs.bern pour le compte la SSR. Au total, plus de 57'000 personnes ont participé à l’enquête, qui couvre une multitude de thèmes. La marge d’erreur est de +/- 1,8 point de pourcentage.

Sur le burn-out, les deux questions posées à la population étaient les suivantes: 1) "Avez-vous déjà souffert d'un burn-out essentiellement imputable aux rapports de travail à votre poste de l'époque?" et 2) "Et pensez-vous que vous risquez un burn-out dans votre contexte professionnel actuel?"

Vu l’ampleur du sondage (300 questions au total), l’ensemble du questionnaire n’a pas été proposé à chaque participant. Les deux questions sur le burn-out font partie d’un ensemble de questions sur le rapport de la Suisse au travail. Elles ont respectivement été posées à 6719 et 4836 personnes.