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L'affrication, ce tic de langage passé des armaillis aux jeunes des banlieues

L’art en vrai - L’affrication
L’art en vrai - L’affrication / La Matinale / 5 min. / le 31 janvier 2024
De plus en plus observé chez les ados, le tic de langage qui consiste à frotter la langue contre le palais avec certaines consonnes et voyelles est devenu un phénomène médiatique. L'affrication existe pourtant depuis longtemps, y compris dans les patois romands.

Affrication: le terme, méconnu, décrit une tendance qui semble toujours plus présente dans la langue française, notamment chez les jeunes. Venant du latin affricare, pour "frotter contre", il désigne en linguistique une friction effectuée dans la bouche, le frottement de la langue contre le palais avec certaines consonnes et voyelles. "Ti" devient par exemple "tchi" et "di" devient "dji".

Le phénomène n'est pas nouveau, mais il a pris de l'ampleur surtout dans les quartiers populaires de Paris ou Marseille. Interrogée dans La Matinale mercredi, une adolescente, qui dit habiter à "Moutjier", estime d'ailleurs que le "dj" est la langue de la cité. Il apparaît aussi dans le monde culturel, par l'intermédiaire de rappeurs comme Jul, à prononcer Djoul.

Affrication n'est pas Afrique

Si l'affrication revient sur le devant de la scène médiatique, c'est notamment après la publication d'un article dans Libération titré "Amandjine mange à la cantchine". Une linguiste y aborde cette nouvelle mode du langage des ados, qui transforment les tartines en "tartchines" et les Didier en "Didjier".

Et si l'article a eu un tel écho, c'est aussi parce qu'Eric Zemmour a tenté de récupérer politiquement le phénomène pour dénoncer un "grand remplacement".

Les commentaires n'ont pas tardé à fleurir pour lui faire remarquer qu'affrication, avec deux "f", n'a toutefois rien à voir avec "Afrique"...

Le "dzodzet" fribourgeois

À dire vrai, l'affrication n'est même pas l'apanage des banlieues françaises de Paris ou Marseille. Ni même des adolescentes de "Moutjier", puisque depuis longtemps, même les armaillis affriquent sur nos montagnes.

"La prononciation en patois fribourgeois de Joseph, c'est 'dzodzet'. Il y aussi le 'Adjeu' pour 'Adieu'. Ces sons étaient fréquents dans les patois, et ils sont restés lorsque la langue française s'est imposée", explique dans La Matinale le linguiste Mathieu Avanzi.

Pour les linguistes, l'affrication démontre une certaine paresse verbale, puisque avec ce tic, il est moins nécessaire de bouger les lèvres.

Au-delà du phénomène médiatique, ce retour en force de l'affrication montre qu’avec le langage, il n’y a pas forcément de frontière – le Québec est même l'une des régions francophones qui affrique le plus – et que la langue française évolue sans arrêt.

Chronique radio: Anne Fournier

Texte web: Victorien Kissling

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