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Les intimidations et violences à l'encontre des élus locaux augmentent en France

Le maire de Saint-Brévin-les-Pins a démissionné après avoir reçu des menaces en raison du projet de construction d’un centre d’accueil pour réfugiés. [AFP - Emmanuelle Pays / Hans Lucas]
Intimidations et violences: le quotidien compliqué des élus locaux / Tout un monde / 9 min. / le 15 mai 2023
Le 9 mai dernier, le maire de la commune française de Saint-Brévin-Les-Pins annonçait sa démission, après avoir été visé par un incendie criminel. Le cas de Yannick Morez n’est pas isolé. Les menaces et intimidations à l'encontre des politiciens s'accentuent en France.

Depuis plusieurs mois, Yannick Morez recevait des menaces, allant jusqu'au passage à l'acte avec l'incendie de sa maison. Sa démission a fait l’effet d’un électrochoc dans la classe politique française, car il illustre la difficulté d'accomplir sa fonction de maire en France. Les élus y sont de plus en plus visés par l’extrême droite, d'autres groupes ou des citoyens hostiles.

Indignation de la classe politique

L’incendie criminel qui a touché les véhicules et la façade du domicile du maire de Saint-Brévin-les-Pins a eu lieu le 22 mars, sans faire trop de bruit. Cette attaque et les menaces dont il était victime résultaient d'un projet de construction d’un centre d’accueil pour réfugiés dans cette commune de Loire-Atlantique.

Le 9 mai dernier, l’élu annonce quitter ses fonctions et même quitter la commune. "Je n’ai pas été soutenu par l’Etat", a-t-il expliqué. Sa démission a pourtant suscité une indignation de la classe politique française. Le président Emmanuel Macron a assuré l'élu de sa "solidarité" après des attaques "indignes". Le Parti socialiste, de son côté, a appelé à une marche symbolique le 24 mai dans la commune de Loire-Atlantique, déplorant une "banalisation de l'extrême droite parlementaire".

Yannick Morez sera par ailleurs reçu par la Première ministre Elisabeth Borne et auditionné au Sénat mercredi. La cheffe du gouvernement a dit sa volonté de "répondre plus efficacement" aux menaces contre les élus, de "renforcer notre action pour intervenir plus tôt, pour repérer leurs difficultés et mieux les accompagner face à des violences dont ils peuvent être victimes".

Une "pression continuelle"

Une polémique semblable, liée à un projet d’accueil de réfugiés, a eu lieu à Callac, un petit village breton. L’extrême droite a contesté un projet du même type et l’a fait échouer. Patrick Morset, élu de Callac, explique que les pressions subies étaient continuelles. "J'ai reçu des menaces de mort et ils sont même venus chez moi, cagoulés."

Patrick Morset a également été victime de violence physique. Il raconte notamment une anecdote intervenue un mercredi sur le marché. "Normalement, ils n'avaient pas le droit de tracter sur le marché, parce qu'ils faisaient peur aux riverains. On a été leur dire d'arrêter et ma chemise a été arrachée par une personne", témoigne-t-il. Quant à sa collègue, des autocollants appelant à un viol collectif ont été placés sur sa boîte aux lettres.

Si les élus sont souvent confrontés à des administrés irascibles, cela peut aller jusqu’au drame. En 2019, le maire de Signes, dans le Var, est mort percuté par le conducteur d’une camionnette qui avait déversé illégalement des gravats dans la nature. Jean-Mathieu Michel, 76 ans, est "mort pour un tas de cailloux", résumait la presse locale.

En 2019, le maire de Signes, dans le Var, est mort percuté par le conducteur d’une camionnette qui avait déversé illégalement des gravats dans la nature. [AFP - Gérard Julien]
En 2019, le maire de Signes, dans le Var, est mort percuté par le conducteur d’une camionnette qui avait déversé illégalement des gravats dans la nature. [AFP - Gérard Julien]

Les faits de violence physique ou verbale contre les élus ont augmenté de 32% en 2022, selon des chiffres du ministère français de l’Intérieur, soit 2265 plaintes et signalements enregistrés l’an passé. Ces violences visent aussi régulièrement des parlementaires. Des permanences ont été saccagées, des entrées de domicile emmurées par des manifestants et des menaces de mort leur ont également été envoyées.

Pas le même respect qu'autrefois

Ce phénomène est souvent lié aux différentes crises, qu'il s'agisse des gilets jaunes, de la politique anti-Covid et dernièrement de la réforme des retraites. Mais ces pressions contre les élus ne sont pas seulement d’ordre idéologique.

Selon le haut fonctionnaire territorial Jean-Victor Roux, auteur du livre "Les Sentinelles de la République - Une Histoire des maires de France", la fonction de maire n’impose plus le même respect qu’autrefois. "Il y a un rapport d'avantage utilitariste entre les citoyens et les élus, et singulièrement à l'égard des maires, qui étaient, jusqu'à il y a assez peu de temps, des figures d'autorité", explique-t-il.

Selon Jean-Victor Roux, les maires sont victimes de menaces et de violences, car l'attachement à la commune n'est plus le même. "Aujourd'hui, beaucoup de gens résident dans une ville en fonction de leur lieu de travail. Ce n'est pas un endroit dans lequel ils sont nés. Il y a une solidarité qui est nettement moindre entre les habitants et un sentiment d'appartenance qui décroît".

En première ligne, les maires de France s'inquiètent aussi d’une crise des vocations. Dans les petites communes, ils sont de moins en moins nombreux à vouloir prendre la relève et assumer ce rôle de "sentinelles de la République". Le gouvernement a quant à lui annoncé vendredi le lancement d'un centre "d'analyse et de lutte contre les violences faites aux élus" afin d'améliorer leur protection.

Sujet radio: Alexandre Habay

Adaptation web: Emilie Délétroz avec afp

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Campagne de sensibilisation lancée au Québec

La France n'est pas le seul pays dont les élus sont victimes de violences ou d'intimidation. Au Québec, par exemple, le gouvernement a lancé récemment une campagne de sensibilisation pour dénoncer les intimidations subies par les élus. Depuis un an et demi, plus de 300 élus municipaux québécois ont démissionné.

Daniel Côté, président de l’Union des municipalités du Québec et maire de Gaspé, s'en inquiète. "Il y a une dévalorisation de la démocratie locale qui s’est faite ces dernières années", estime-t-il.

Depuis une semaine, le gouvernement québécois diffuse une vidéo de sensibilisation auprès des citoyens et a versé un million de dollars canadiens partagés entre l’Union des municipalités du Québec et la Fédération québécoise. Ce fonds vise à apporter une aide psychologique ou juridique lors d'intimidations.

Les représentants des élus municipaux espèrent réussir à apaiser le climat social. Ils craignent de manquer de candidats pour les prochaines élections municipales en 2025.