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Le sentiment anti-français grandit chez une partie de la jeunesse africaine

Des pancartes anti-France à Bamako en août 2020. [EPA/Keystone - H. Diakite]
Nicolas Bancel évoque le sentiment anti-français grandissant au Mali / La Matinale / 8 min. / le 29 avril 2022
La diffusion de RFI et France 24 a été définitivement suspendue mercredi au Mali sur fond de crise diplomatique entre Paris et Bamako. Professeur d'histoire à l'Université de Lausanne, Nicolas Bancel observe chez les jeunes un sentiment anti-français qui se manifeste dans les anciennes colonies.

Le couperet est tombé pour Radio France Internationale (RFI) et France 24 au Mali: la diffusion des deux médias audiovisuels français, déjà coupée depuis mi-mars, a été définitivement suspendue mercredi, signe d'une escalade des tensions entre Paris et Bamako.

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Pour Nicolas Bancel, professeur d'histoire à l'Université de Lausanne, la junte au pouvoir dans ce pays joue sur l'augmentation très nette du sentiment anti-français qui s'observe depuis une vingtaine d'années. Mais cette contestation ne concerne pas que le Mali: "on trouve cela dans à peu près toutes les anciennes colonies françaises d'Afrique subsaharienne et il y a là un créneau pour les pouvoirs en place notamment vis-à-vis des nouvelles générations. En s'appuyant sur ce sentiment de rejet de la France pour promouvoir [leur] légitimité, [ils] jouent en quelque sorte sur un contexte qui [leur] est favorable" explique-t-il jeudi dans La Matinale.

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Une rupture générationnelle

Burkina Faso, Niger, République centrafricaine: on observe dans de nombreux pays une montée de sentiments anti-français qui ont cours depuis quinze à vingt ans. Selon Nicolas Bancel, on peut y déceler une rupture générationnelle. "La nouvelle génération, plus critique, est présente en nombre sur les réseaux sociaux, très actifs en Afrique de l'Ouest. Des associations politiques ont promu par exemple toute la critique contre le franc CFA qui a abouti à la réforme qu'Emmanuel Macron a consentie il y a un an et demi. Depuis vingt ans, la situation a plutôt évolué en défaveur de l'influence française. La France n'est aujourd'hui que le troisième partenaire commercial en Afrique subsaharienne et a été remplacée par la Chine".

Cette jeunesse fait face à une situation très difficile, l'avenir est très difficile à imaginer et l'horizon est bouché. Il y a donc une forme d'exutoire contre la France, dont le système colonial et post-colonial a fait beaucoup de dégâts.

Nicolas Bancel, professeur d'histoire à l'Université de Lausanne

"Des relations inféodées"

Même si le rôle de la France s'est érodé, un certain nombre de chefs d'états africains entretiennent des relations très régulières avec le pouvoir français ou en sont dépendants. Cette colère grandissante des jeunes pourrait-elle leur permettre de s'éloigner un peu de leurs responsabilités, par exemple dans la lutte contre le djihadisme? Selon Nicolas Bancel, la réponse est non.

"Il existe des relations presque d'inféodation qui rendent difficile de s'appuyer sur cette colère d'une partie de la jeunesse contre la France. Mais un certain nombre de pays en ont joué pour absoudre les dirigeants africains de leurs erreurs pendant ces décennies post-coloniales. Pas forcément en Afrique subsaharienne, mais on pense par exemple à la Guinée ou encore à l'Algérie, qui a beaucoup utilisé ce ressort pour se déresponsabiliser de sa gestion catastrophique du pays après les indépendances".

Le rôle trouble de la Russie

L'historien pointe enfin le rôle trouble de la Russie, qui joue le rôle d'un "accélérateur du mécontentement" pour servir ses intérêts. La lecture de l'invasion de l'Ukraine n'est d'ailleurs pas du tout la même auprès des jeunes Africains qu'en Occident. "Une partie de la jeunesse africaine considère que le pouvoir russe résiste à l'Occident. Les Russes ont encore peu d'influence mais ils placent leur pions comme l'a fait la Chine il y a 20 ans".

Propos recueillis par Benjamin Luis

Adaptation web: mh

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La France remet au Mali sa base militaire de Gossi

L'armée française a officiellement remis mardi aux forces armées maliennes (FAMa) les clés de la base de Gossi, dans le nord du Mali, étape majeure du départ de la force antidjihadiste Barkhane du pays, a indiqué l'état-major français.

"Le transfert de la base avancée de Gossi est effectif depuis la fin de matinée", a indiqué le porte-parole de l'état-major, le colonel Pascal Ianni, précisant que la base accueillait 300 soldats français.

Le déménagement a représenté quelque 400 containers. Le poste "a été restitué en l'état avec tous les dispositifs défensifs, tous les équipements (...) ainsi que des infrastructures de casernement. On n'a pas fait table rase", a-t-il ajouté au cours d'un point-presse.

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La force française Barkhane, ici le 9 juin 2021 au Mali.. [Keystone - Jerome Delay]Keystone - Jerome Delay
Au Mali, la force française Barkhane a réalisé la première étape de son désengagement / La Matinale / 2 min. / le 29 avril 2022

Barkhane au Sahel, la plus grosse opération extérieure actuelle de la France, a mobilisé jusqu'à 5500 hommes sur le terrain en 2020 et avait entamé sa mue l'été dernier sur décision d'Emmanuel Macron, qui prévoyait de ramener ce nombre à 2500 ou 3000 d'ici 2023.

Paris a ensuite décidé en février un retrait militaire total du Mali, dans un contexte sécuritaire dégradé et une crise diplomatique entre Paris et Bamako, où une junte militaire a pris le pouvoir.

Le colonel Ianni a précisé mardi qu'un état des lieux "documenté" de la base avait été dressé, pour protéger notamment la France d'éventuelles accusations dans les mois à venir. Une allusion au sentiment anti-français qui a gagné du terrain dans la région et a valu à la France de faire l'objet de campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux.