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Le Nobel d'économie Jean Tirole prône le dialogue pour réformer l'emploi en France

Jean Tirole. [RTS]
Jean Tirole, prix Nobel d'économie / L'invité de la rédaction / 22 min. / le 27 mai 2016
La France est paralysée par un bras de fer entre syndicats et gouvernement sur la loi Travail. Pour le Prix Nobel d'économie 2014 Jean Tirole, le dialogue fait défaut pour réformer le marché du travail.

"Je ne peux pas prédire ce qui va se passer. C'est une situation terrible, avec des violences... les idées disparaissent", a réagi Jean Tirole, interrogé vendredi dans le Journal du Matin de la RTS au sujet de la situation en France.

>> Lire : Nouveaux heurts en France lors de protestations contre la loi Travail

"On observe que de nombreux jeunes, qui sont supposés bénéficier de la réforme sur le travail, sont contre. Cela fait partie d'un désespoir général: on leur laisse une dette publique importante, les retraites à financer, le réchauffement climatique... il y a une inquiétude légitime", estime-t-il, convaincu que la réponse est dans la pédagogie.

Notre système social est une cause nationale: il lui faut une union nationale.

Jean Tirole, Prix Nobel d'économie 2014

"Il y a un besoin de dialogue en France, où très peu de pédagogie est faite auprès de l'électorat", regrette Jean Tirole. "Notre système social est une cause nationale: il lui faut une union nationale, au moins des partis modérés (...) pas comme en Europe du Sud, où l'opposition promet toujours de détruire ce qu'a construit le gouvernement en place".

Besoin d'un consensus

Jean Tirole cite en exemple plusieurs pays qui ont réussi à réformer leur marché du travail pour se rapprocher du plein emploi, notamment l'Allemagne des années 2003-2004, la Scandinavie ou le Canada des années 1990, ou encore l'Australie.  "Ils son allés bien plus loin que la France, grâce à un certain consensus (...) et n'ont pas attendu le dernier moment pour agir", souligne l'économiste.

Le Prix Nobel d'économie 2014 avait signé une tribune en faveur de la loi El Khomri, qui allège le droit de licenciement pour encourager les patrons à engager des employés à durée indéterminée, et qui cristallise actuellement les tensions. "Elle contient des articles qui vont dans le bon sens, ce qui ne signifie pas que je l'aurais construite de la même manière", a-t-il commenté dans le Journal du Matin. 

Responsabiliser les entreprises

L'une des pistes avancée par l'économiste pour stabiliser le marché du travail en France serait de faire de tous les nouveaux contrats des contrats uniques. Et ainsi de supprimer le contrat à durée déterminée (CDD), qu'il juge "mauvais" car temporaire, créateur d'emplois instables et onéreux pour les assurances sociales, car les employés sont ensuite remis au chômage.

Aujourd'hui, ce sont les entreprises qui gardent les salariés qui paient pour celles qui licencient.

Jean Tirole, Prix Nobel d'économie 2014

"Les entreprises, vu les incertitudes de l'avenir, ne veulent plus créer de contrats à durée indéterminée (CDI)", constate Jean Tirole. Ainsi, pour les responsabiliser, l'économiste propose un système de bonus/malus pénalisant le "licencieur-payeur". "Aujourd'hui, c'est le contraire: ce sont les entreprises qui gardent les salariés qui paient pour celles qui licencient", regrette-t-il.

>> Lire aussi : "Le syndicat CGT ne gagne pas beaucoup à être dans le compromis"

jvia

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Le RBI? Oui, mais avec une incitation à travailler

Jean Tirole était également invité à rebondir sur la votation sur le revenu de base inconditionnel (RBI), qui aura lieu en Suisse le 5 juin.

"Il y a une dichotomie entre un revenu correct versé par l'impôt ou par un salaire", a répondu le Prix Nobel. "En France, le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) est relativement élevé, mais il crée du chômage. Ne faudrait-il pas le baisser et augmenter les transferts vers les jeunes salariés?".

"Le travail ne va pas disparaître avec la robotisation, mais les emplois, notamment issus de la nouvelle économie numérique, seront-ils bien payés?", s'est encore interrogé le Prix Nobel.

Pour Jean Tirole, il faudrait coupler le RBI avec une incitation à avoir un emploi, du type revenu de solidarité active (RSA) en France. "Les salariés ont une dignité au travail, il est important de la conserver".