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Paolo Bernasconi lutte contre les "managers profiteurs"

Le Tessinois Paolo Bernasconi est engagé pour l'initiative de Thomas Minder. [DR]
Le Tessinois Paolo Bernasconi est engagé pour l'initiative de Thomas Minder. - [DR]
Professeur et avocat tessinois, Paolo Bernasconi, l'ex-procureur de Lugano spécialiste de la lutte contre le blanchiment d'argent, préside le Comité national hors partis favorable à l'initiative Minder contre les rémunérations abusives.

RTSinfo: quel a été le point de départ de votre engagement pour l'initiative contre les salaires abusifs?

Paolo Bernasconi: Primo, je veux une économie suisse qui ne soit pas saignée par des managers parasites. Ensuite, j'agis par solidarité à l'égard des milliers de familles qui en Suisse sont touchées par le chômage et la crise alors que d'autres ont des rémunérations de plusieurs millions. On pourrait faire économiser 1500 millions de francs aux entreprises suisses chaque année en limitant les rémunérations des managers profiteurs.

Selon vous, l'économie suisse profiterait donc de cette initiative?

C'est certain! Imaginez tout ce qu'on aurait pu faire en dix ans si on avait investi les 15 milliards versés aux top managers dans l'innovation. Ceux qui prétendent que limiter les rémunérations nuit à l'économie suisse ont été démentis par les déclarations de nombreuses entreprises suisses récemment publiées comme dans "Der Sonntag" du 10 février, par exemple.

Certains managers ne risquent-ils pas de quitter notre pays?

Les entreprises qui sont enracinées en Suisse depuis des décennies, jouissent de tellement d'avantages et de bénéfices que leurs actionnaires ne décideraient jamais de partir seulement pour sauver la cupidité de quelques managers profiteurs. De plus, selon mon expérience, les managers apprécient la Suisse car ils y sont bien payés, certes, mais aussi parce qu'ils y trouvent un cadre de vie agréable pour leur famille ainsi qu'une fiscalité avantageuse.

S'il semble peu probable que les entreprises bien établies partent, ne craignez-vous pas que certaines multinationales préfèrent d'autres pays pour garder les coudées franches?

Nous parlons de l'initiative Minder depuis six ans. Malgré cela, de nombreuses entreprises étrangères ont continué à choisir la Suisse en créant de nouvelles places de travail. Les entrepreneurs étrangers sont ravis de ne plus se saigner pour quelques mercenaires.

La corrélation entre ces arrivées et le texte de Thomas Minder n'est toutefois pas évidente…

Non, bien sûr. Les entreprises sont avant tout attirées par la stabilité politique et la sécurité juridique qu'offre la Suisse. Elles apprécient d'avoir à faire à une administration publique qui fonctionne et profitent d'avantage fiscaux. Je crois que les actionnaires verront plutôt dans la limitation des rémunérations millionnaires un nouvel atout.

Pourquoi l'initiative Minder ne prévoit-elle rien pour récupérer les rémunérations abusives indûment perçues ?

Mais parce que cela existe déjà! L'art. 678 du Code des obligations prévoit la récupération des salaires indûment payés, et cela n'a jamais fonctionné. Jamais. Comment peut-on d'ailleurs imaginer qu'un conseil d'administration retire une indemnité qu'il a lui-même attribuée à un manager qu'il côtoie chaque jour? Quant au top manager auquel on demande restitution, que va-t-il faire? Partir à Monte Carlo, Miami, Panama, Singapour, où il sera à l'abri.

C'est pourquoi vous militez pour l'introduction de sanctions pénales?

Toutes les lois fédérales et cantonales prévoient des sanctions en cas de violation. C'est donc normal que les top managers soient punis comme n'importe quel citoyen, par une peine identique à celle qui est prévue pour ceux qui ne payent pas l'addition au restaurant.

Les entreprises ne peuvent-elles pas faire de l'ordre par elle-même?

L'actualité a encore montré que non ces derniers jours. Daniel Vasella s'est fait payer par Novartis 13 millions en 2012, après avoir encaissé une somme similaire ces 13 dernières années. Il s'est même fait garantir une indemnité de 7 millions par an pour les cinq ans suivants sa démission. Autre exemple: Severin Schwann et Franz B. Humer ont reçu chacun respectivement 12,5 millions et 8,7 millions de Roche en 2012. Si l'initiative est rejetée, rien ne changera.

On vous reproche de vouloir déstabiliser les entreprises en les contraigant à élire leur conseil d'administration chaque année, que répondez-vous à vos adversaires ?

L'initiative prévoit tout simplement que chaque année tous les administrateurs soient soumis à un vote de vérification. A un coût zéro. Il s'agit simplement de permettre aux assemblées d'actionnaires d'exercer un contrôle. D'ailleurs, de nombreuses entreprises suisses ont déjà introduit cette pratique depuis longtemps, ABB, Adecco, Oerlikon, UBS, et même Blocher Ems Chemie SA, pour ne citer qu'eux, sans aucun désavantage.

Est-ce que cela n'aura pas un coût en termes organisationnels?

En réalité, l'initiative constitutionnelle prévoit un seul article pour les 400 sociétés cotées en bourse, le contre-projet prévoit 46 nouveaux articles du Code des obligations applicables pour une bonne partie à toutes les sociétés anonymes suisses, y compris les PME.

Quelle est l'applicabilité de l'article constitutionnel?

L'argument des partisans du projet indirect est serait qu'il est tout de suite applicable. C'est faux. Il prévoit un délai de deux ans pour mettre en place toutes les normes et les premières assemblées qui devront appliquer ces normes n'auront lieu qu'en avril 2016. Pour l'article constitutionnel, le délai est d'une année, soit mars 2014.                                      

Propos recueillis par Juliette Galeazzi                                      

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Le texte soumis au vote le 3 mars prochain

Déposée en février 2008, l'initiative "contre les rémunérations abusives" est née de la volonté d'un entrepreneur schaffhousois Thomas Minder.

Son texte, soumis au peuple le 3 mars, veut empêcher les entreprises cotées en bourse de verser des rémunérations et indemnités de départ élevées aux cadres

L'initiative Minder prévoit à cet effet trois nouvelles dispositions: les rémunérations du conseil d'administration et de la direction devront être approuvées par les actionnaires, la durée du
mandat des membres du conseil d'administration sera limitée à une année, les "golden hello" et indemnités de départ seront elles interdites.

Des sanctions sont en outre prévues pour les contrevenants.

Le contre-projet indirect du Parlement

Si l'initiative Minder est rejetée, le contre-projet indirect du Parlement entrera en vigueur. Il est soutenu par le Conseil fédéral et les Chambres. Le Parlement ne donne toutefois aucune consigne de vote.

Le contre-projet prévoit que ce soit le conseil d'administration, et non les actionnaires, qui édictent les dispositions régissant les rémunérations. Il renonce en outre à l'aspect pénal et renforce les dispositions relatives à la restitution de rémunérations indues.

Au niveau fédéral, le PS, les Verts et le PEV (Parti évangélique) disent oui à l'initiative. Le PDC, le PLR, l'UDC et le PBD se prononcent contre l'initiative et pour le contre-projet.