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Face à la sécheresse qui nous guette, la Confédération joue la prévention

La sécheresse nous guette
La sécheresse nous guette / Mise au point / 11 min. / le 29 mai 2022
Avec des températures record, le mois de mai qui se termine a aussi connu des précipitations fortement en deçà de la norme de ces trente dernières années. Face au changement climatique et aux épisodes de sécheresse annoncés, la Confédération tente un axe de prévention.

Un soleil radieux, les plaisirs de la plage à la recherche d’un peu de fraîcheur, une ambiance de juillet en plein de mois de mai: ces images de vacances et de bien-être, vues ces dernières semaines, cachent également une toute autre réalité.

Avec des pointes à 33 degrés, ce mois de mai est le plus chaud enregistré en Suisse depuis 150 ans, dans un contexte de très faibles précipitations. Depuis le début des mesures en 1864, seul le mois de mai 1868 a été plus chaud, avec 3,2 degrés au-dessus de la norme. Les experts sont unanimes, le dérèglement climatique est en marche, et avec lui les signes d’une sécheresse annoncée.

>> Lire : Record de chaleur pour un mois de mai en Suisse égalé à Viège

Didier Amez-Droz est agriculteur depuis 35 ans dans son exploitation familiale de Montricher (VD) au pied du Jura, c’est dire s’il a l’habitude des météo capricieuses. Mais actuellement, c'est vingt fois par jour qu'il guette le ciel, ainsi que l'application de MétéoSuisse sur son téléphone, dans l'espoir de l'annonce d'un épisode de pluie, salutaire pour ses cultures de céréales et pour le foin destiné à son bétail. "S'il ne pleut pas prochainement, toute la récolte sera pour ainsi dire foutue", glisse-t-il.

>> Lire aussi : Les agriculteurs suisses sur le qui-vive face au changement climatique

Déficit hydrique important

La région du pied du Jura vaudois est certes particulièrement exposée à la sécheresse, avec sa terre calcaire et caillouteuse très imperméable. Mais faut-il voir dans le manque d’eau à Montricher le signe d’une sécheresse annoncée, et généralisée?

Prévisionniste pour MétéoSuisse, Lionel Fontannaz ne se montre pas optimiste. "Pour l’ouest de la Suisse on peut parler d’une sécheresse météorologique, avec un déficit hydrique de 50% pour tout le printemps, et même de 70% au sud des Alpes - ce qui est nettement plus grave. Avant le plein été, ce n'est pas un bon préalable. Il ne faudrait pas qu'on ait cet été une situation de haute pression, avec des températures élevées et des canicules", expose-t-il.

Un mois isolé n’est pas une preuve du changement climatique, précise le météorologue. En revanche, le "groupe" des années dont le mois de mai a enregistré des valeurs extrêmes se situent toutes au début du XXIème siècle. "Cela donne un signal que le changement climatique agit. Les études d'attribution montrent de plus en plus que s'il n'y avait pas autant de CO2 dans l'atmosphère, on n'arriverait pas à monter à de telles températures", note Lionel Fontannaz.

Evénements prédits de longue date

Les régions de montagne ne sont pas épargnées par le manque d’eau: le refuge du Mont-Rose à Zermatt vient de fermer pour cette raison, et dans les Grisons également la situation est tendue. A 2500 mètres d’altitude à la cabane de Lischana, l’eau, abondante il y a encore quelques années, ne coule presque plus malgré la neige, et l'ouverture de la cabane pourrait être retardée.

Felix Keller, glaciologue à l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), observe avec inquiétude le changement climatique dans les Alpes. "Je crois que le problème de la pénurie d’eau va continuer à s’aggraver en Suisse, en particulier dans les montagnes. Les régions les plus à risque sont le Valais et les vallées des Grisons orientées au sud, l’Engadine et le Val Monastero. Ce sont les régions les plus sèches de Suisse", indique-t-il.

Dans quelques années, le glacier du Lischana (GR) aura disparu, la pénurie d’eau est amorcée. Les climatologues alertent sur ce danger depuis longtemps, à commencer par Martine Rebetez, professeure à l’Université de Neuchâtel et à l'Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage.

"Depuis les années 1980, on assiste à la réduction de l’enneigement, aux canicules, et à l'augmentation des phénomènes extrêmes en général", constate la climatologue. "Ces phénomènes sont appelés à se répéter et à devenir de plus en plus intenses. On aura de plus en plus souvent des canicules comme en 2003. Et on peut aussi avoir des conditions comme en 2021, avec des pluies très fréquentes et trop abondantes, et avec les dégâts qu'on a connus en raison des laves torrentielles."

>> Revoir le commentaire de Martine Rebetez sur ces températures exceptionnelles dans le 19h30 :

Martine Rebetez, climatologue, commente ces températures exceptionnelles
Martine Rebetez, climatologue, commente ces températures exceptionnelles / 19h30 / 3 min. / le 18 mai 2022

>> Lire aussi : Jean Jouzel, climatologue: "Nous vivons aujourd'hui ce que nous envisagions depuis 50 ans"

Plan de la Confédération

Pour tenter de palier les épisodes de fortes chaleurs, le Conseil fédéral a lancé la semaine dernière son plan "Alerte canicule". L'Office fédéral de l’environnement et MétéoSuisse devront mettre sur pied un système de détection, des capteurs dans la terre devront anticiper le manque d’eau.

Le système coûtera quelque 4,75 millions de francs, précise le Conseil fédéral qui répond ainsi à une motion du Parlement, et sera opérationnel si tout va bien en 2025.

Prévisionniste hydrologique à l’Office fédéral de l’environnement, Emmanuel Brocard travaille sur le projet. Il décrit le sous-sol en Suisse comme disposant pour l'heure d'"encore de suffisamment de réserves". "Actuellement, dans la plupart des régions de Suisse, les niveaux des nappes phréatiques sont normaux, sauf quelques nappes sur le Plateau et au Tessin. Globalement, on n'est pas dans une situation préoccupante, contrairement à d'autres pays comme la France ou des pays méditerranéens", tempère-t-il.

Les nappes phréatiques reflètent les intempéries et précipitations qu'il y a eues pendant les semaines et les mois en amont. Mais il y a aussi un effet tampon, précise l'expert, c'est-à-dire que la réaction de la nappe phréatique est assez lente et ne reflète pas tout de suite les conditions de l'étage supérieur.

Priorités sur l'utilisation de l'eau

Le plan alerte sécheresse doit permettre au gouvernement d’établir, si besoin, des priorités sur l’utilisation de l’eau.

Pour Emmanuel Brocard, les tensions à venir autour de l'eau semblent inévitables, notamment entre l'agriculture, qui prélève de l'eau dans les nappes phréatiques, et d'autres utilisations, comme le remplissage des piscines ou l'arrosage des pelouses. "Avec le réchauffement climatique, on aura de plus en plus de pression sur la ressource eau, donc fatalement il y aura des tensions, des priorisations à faire, il faut s'y attendre", avertit-il.

Reportage TV: Emmanuelle Bressan

Adaptation web: Katharina Kubicek

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La Suisse pas préparée face aux grands feux de forêt

La Suisse n'est pas prête à affronter d'importants feux de forêt. C'est la mise en garde de Serge Depallens, directeur de l'ECA Vaud, alors que la sécheresse fait redouter une hausse des incendies.

"Si nous devions lutter contre un feu d'ampleur, ce serait compliqué", reconnaît le directeur de l'Etablissement cantonal vaudois d'assurance contre l'incendie et les éléments naturels (ECA), samedi dans une interview accordée au Temps.

Il souligne que la Suisse ne dispose pas de Canadair et qu'il n'existe pas d'arrangement avec la France qui utilise, elle, de tels avions.

Serge Depallens rappelle qu'un partenariat avec la Rega permet d'intervenir dans des endroits difficiles d'accès avec des hélicoptères munis de grands récipients d'eau. "Mais suivant comment les choses évoluent à l'avenir, ça ne sera plus suffisant", juge-t-il.

Risque "accru"

Le directeur relève que les ECA de Suisse ont conscience des dangers d'incendie alors que les périodes de sécheresse pourraient se multiplier. "C'est notre rôle de se préparer à cette situation. Nous sommes en train de doter les pompiers de nouveaux équipements plus légers et mieux adaptés, permettant de se rendre sur des terrains plus difficiles d'accès", raconte-t-il.

Serge Depallens juge que le risque actuel est "accru" en montagne et en forêt. Mais selon lui, il est encore trop tôt pour savoir si l'été sera au même niveau que lors de la canicule de 2003.