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La dermatillomanie: se gratter la peau à en devenir dingue!

La dermatillomanie : se gratter la peau à en devenir dingue ! [Depositphotos - Tomwang]
La dermatillomanie, se gratter la peau à en devenir dingue / Dingue / 30 min. / le 22 janvier 2024
Un besoin irrépressible de se gratter, triturer ou pincer la peau. Voilà la définition la plus simple possible de la dermatillomanie, un trouble encore assez mystérieux et peu étudié. Témoin de cette carence de recherche scientifique, la prévalence de ce trouble – aujourd'hui reconnu – oscille entre 1,4 et 5,4 % de la population, une fourchette très large.

Dans les cas extrêmes, la dermatillomanie peut provoquer une septicémie et la mort. Elle fait partie de la famille des comportements répétitifs centrés sur le corps (CRCC), dans laquelle on retrouve ses deux "cousines": la trichotillomanie, qui consiste à s'arracher les cheveux ou les poils, et l'onychophagie, qui consiste à se ronger les ongles.

Laure et ses crises nocturnes

Dans le podcast Dingue, Laure (prénom d'emprunt), 39 ans, raconte sa longue histoire avec la dermatillomanie, qui a commencé vers l'âge de 12 ans. Elle explique l'étrange transe de ses crises de grattage devant le miroir: "Le soir, je rentre dans cet état qui me fait du bien, parce que ce qui est incroyable, c'est que, quand j'ai ces crises, bah j'aime ça! Je me sens bien!".

Mais il y a aussi la honte, la peur du regard et du jugement des autres. Elle se souvient, par exemple, de son mariage: "Je portais une belle robe blanche à bustier et un petit boléro blanc en dentelle. Mais ce jour-là, il faisait très chaud et j'avais la possibilité de retirer ce boléro. J'ai eu chaud toute la journée, mais je me suis dit, non, si je le retire, tout le monde va voir mon dos. Et mon dos n'est pas visible!"

Un trouble difficile à classer

La psychiatrie se doit de classer les troubles mentaux par catégorie. Le DSM 5 (manuel de référence des troubles psychiatriques) considère la dermatillomanie comme un trouble obsessionnel compulsif (TOC), mais la psychologue clinicienne Alexandra Lecart, autrice de "Arrête de te gratter! Comprendre la dermatillomanie pour mieux la soigner" (aux éditions Enrick B.), estime que cette classification n'est que partiellement correcte: "Si vous voulez, c'est 20% un TOC, mais c'est principalement un trouble impulsif et addictif. Il n'y a pas d'anxiété préalable comme dans un TOC".

C'est 20% un TOC, mais c'est principalement un trouble impulsif et addictif. Il n'y a pas d'anxiété préalable comme dans un TOC

Alexandra Lecart, psychologue clinicienne

En effet, dans le schéma typique du TOC, il y a une forte montée d'anxiété qui n'est atténuée que par le comportement compulsif. Dans la dermatillomanie, cet enchaînement n'est pas la règle. En ce sens, ce comportement impulsif et soulageant ressemble plus à un comportement addictif ou à celui, voisin, de certains troubles du comportement alimentaire comme l'hyperphagie.

La dermatillomanie, ça se soigne

Laure a longtemps considéré que sa dermatillomanie faisait partie d'elle-même: "Je m'étais faite à l'idée que je serais un jour une grand-mère qui se touche les boutons". Mais aujourd'hui, elle se lance dans un parcours thérapeutique pour se libérer de cette pratique. Alexandra Lecart est positive: "Les résultats sont vraiment très encourageants. Les gens parviennent assez rapidement à diminuer voire à arrêter ce comportement".

Pour elle, différentes approches psychothérapeutiques sont pertinentes: "Avec une thérapie cognitive et comportementale (TCC), il y a beaucoup de résultats. Je recommande de l'inclure dans une thérapie intégrative avec, par exemple, un traitement pour les traumatismes comme l'EMDR (désensibilisation et retraitement des informations avec l'aide de mouvements oculaires) ou l'hypnose".

Soulager quelque chose de plus grand que le comportement

La dermatillomanie peut être vue comme un mécanisme de protection, un processus de soulagement face à des émotions difficilement supportables, en particulier pour les profils perfectionnistes. Or, Laure est perfectionniste, comme de très nombreuses personnes atteintes de dermatillomanie. Aujourd'hui, elle donne un sens à son trouble: "Je n'écoute pas mon corps, et mon corps me crie dessus en se manifestant à travers la dermatillomanie. C'est un signal de mon corps et je ne l'avais jamais compris ainsi jusqu'à présent".

Dans ce sens, le chemin thérapeutique entrepris par Laure devrait la soulager au-delà de cette dermatillomanie, vue par elle comme un signal d'alerte, ou plutôt, comme elle le dit elle-même, d'un drapeau blanc.

Adrien Zerbini

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