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Holcim veut se décarboner, alors que le béton reste au cœur de nos constructions

Un train de marchandises du cimentier Holcim. (image d'illustration) [Keystone - Gaetan Bally]
Holcim présente sa mue verte et son rapport de durabilité pour la Suisse, explications / La Matinale / 1 min. / aujourd'hui à 06:22
Le ciment, composant principal du béton, est responsable d'environ 8% des émissions de CO2 dans le monde. Leader mondial du secteur, Holcim est ainsi l'une des entreprises les plus polluantes de Suisse. Mais elle dit vouloir atteindre la neutralité carbone d'ici 2050.

L'entreprise, qui exploite trois cimenteries sur les six qui se trouvent sur sol helvétique, a publié mardi son rapport de durabilité pour la Suisse. Dans son long chemin vers la "neutralité carbone", elle prévoit notamment d'alimenter ses fours avec des matériaux non recyclables au lieu de combustibles fossiles comme le pétrole. Elle compte aussi sur le captage carbone.

Car pour obtenir du ciment, il faut mélanger du calcaire avec d'autres matières minérales et faire chauffer le tout à plus de 1400 degrés, relâchant au passage de grandes quantités de gaz dans l'atmosphère. Des émissions inévitables dans cette industrie, explique François Girod, directeur de la cimenterie Holcim à Eclépens (VD), invité mercredi dans La Matinale.

40'000 tonnes de CO2 en moins par an

"C'est vrai qu'on émet en masse du CO2, parce qu'il faut décarbonater cette roche. Il faut la cuire pour qu'elle soit réactive, pour créer ce pouvoir magique du ciment de lier les composants du béton", détaille-t-il. "Cette réaction-là, elle est incompressible, effectivement. C'est pour ça qu'on a besoin du captage carbone."

C'est depuis sa cimenterie - connue pour avoir provoqué la première Zone à défendre (ZAD) écologiste de Suisse - que le groupe a présenté mardi l'avancée de plusieurs de ses projets en matière de climat. Dès cet été, le site devrait être en mesure de fonctionner avec "un mix de combustibles basé à 100% sur des déchets non recyclables".

Grâce à cet investissement d'un peu moins de 10 millions de francs, l'usine vaudoise prévoit d'économiser 40'000 tonnes nettes de CO2 par an, soit environ 12% des émissions actuelles, explique le groupe.

"Dette climatique" impayée

Mais pour certaines ONG, ces transformations interviennent beaucoup trop tard et ignorent la "dette climatique" déjà accumulée. Responsable justice climatique à l'Entraide protestante (EPER), Yvan Maillard Ardenti évoque sept milliards de tonnes de CO2. "C'est le double de ce que la Suisse a émis depuis le début de l'industrialisation", explique-t-il.

"Donc Holcim est co-responsable de la crise climatique et devrait payer des compensations pour les dommages causés dans les pays du Sud", poursuit-il. Une critique balayée par François Girod (voir encadré).

L'EPER, qui s'est récemment jointe à une plainte climatique contre Holcim, dénonce enfin des annonces "insuffisantes" qui se basent beaucoup trop sur la captation du CO2, une technologie "pas encore au point et beaucoup trop chère".

>> Lire aussi : Des Indonésiens déposent une plainte climatique à Zoug contre le cimentier Holcim

Favoriser le recyclage des déchets minéraux

"Je suis totalement d'accord", concède le directeur de l'usine d'Eclépens. "En fait, c'est une technologie qui est assez au point, des projets se concrétisent, mais c'est un processus qui nécessite beaucoup d'énergie. Donc on ne va pas tout régler simplement, du jour au lendemain, par du captage carbone."

C'est pourquoi Holcim compte sur une transformation de ses combustibles, mais aussi sur l'économie circulaire. "On réduit la part de matière noble de nos composants, c'est-à-dire qu'on va extraire moins de matières de nos carrières pour les remplacer par des déchets minéraux de notre société", explique l'industriel.

>> Son interview complète dans La Matinale :

Le béton peut-il être durable? Interview de François Girod
Le béton peut-il être durable? Interview de François Girod / La Matinale / 6 min. / aujourd'hui à 07:00

Béton encore omniprésent

Les annonces d'Holcim ont en tout cas le mérite de convaincre Karen Scrivener, directrice du Laboratoire des matériaux de construction à l'EPFL. Certes, les cimentiers peuvent encore améliorer leurs processus de production, mais elle relativise les critiques: comparées aux quantités de béton utilisées, les émissions ne sont pas si importantes que ça.

Et il semble aujourd'hui bien difficile de se figurer un monde sans béton, tant le matériaux est omniprésent, résistant et facile à produire. Le monde politique, lui, ne semble pas prêt de passer le cap.

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Sujet radio: Cléa Favre

Texte web: Pierrik Jordan avec ats

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"Il est trop tard pour compenser"

François Girod réfute que l'industrie du ciment ait une responsabilité historique particulière dans la "dette climatique" mondiale. "Je trouve ça assez injuste comme critique, pour plusieurs raisons. Nous avons tous une dette, nous sommes collectivement dans le même bateau et nous avons un gros problème de société."

"Les pays industrialisés ont émis beaucoup de CO2 depuis leur industrialisation précoce, ces masses de CO2 sont déjà dans l'atmosphère. C'est une molécule stable qui s'accumule et ne se dégrade pas", rappelle-t-il. "On ne va pas pouvoir compenser ce qui est déjà stocké dans l'atmosphère. C'est trop tard. Par contre, là où on doit absolument faire notre travail, c'est de rendre notre production la plus propre possible. C'est ça le gros chantier."

Nouveaux bétons

Holcim cherche aussi à développer de nouvelles "recettes" de ciment, de nouvelles "gammes" moins gourmandes en CO2. Là aussi, des solutions techniques existent, a affirmé le groupe mardi.

Stéphane Pilloud, directeur d'Holcim pour la Suisse romande, relève toutefois des "réticences" chez certains maîtres d'ouvrage. "Nous nous efforçons de changer leur vision, de leur prouver que d'autres bétons, par exemple recyclables, sont tout aussi bons", a-t-il souligné.

Ces "nouveaux" bétons sont d'autant plus importants que "l'on ne pourra jamais complètement remplacer le béton", a continué François Girod. L'époque n'est toutefois plus "au surbétonnage", mais à une utilisation plus qualitative. Il faut "construire mieux avec moins", a-t-il résumé.