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La dirette de Parin, un poisson tropical retrouvé en mer du Nord

La dirette de Parin, Diretmichthys parini de son nom scientifique, se trouve d'ordinaire dans des eaux tropicales. [wikimedia/CC-BY 3.0 - Australian National Fish Collection, CSIRO]
Un poisson tropical en mer du nord / CQFD / 10 min. / le 12 janvier 2022
Originaire des tropiques, la dirette de Parin est un poisson des grandes profondeurs à la gueule patibulaire et aux gros yeux globuleux. Elle a été pêchée en mer du Nord et même en mer de Norvège, dans des eaux encore plus septentrionales.

Originaire des tropiques, nageant dans les grandes profondeurs, la dirette de Parin se retrouve désormais beaucoup plus au nord, dans les eaux en limite du cercle polaire. Des équipes de pêche ont commencé à en trouver dans leurs filets dès 2015, en mer du Nord et ont signalé cette espèce inhabituelle aux scientifiques de l'Ifremer, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer.

A l'automne dernier, elle a été vue deux fois, plus au nord, en mer de Norvège. Vraisemblablement, le réchauffement climatique est la cause de sa présence loin de son milieu d'origine: "Passé la première surprise, nous avons décidé d'étudier ce poisson pour comprendre la biologie de cette espèce", note Pierre Cresson, chercheur au centre Ifremer Manche-mer du Nord, au micro de l'émission CQFD.

Cet animal, dont le nom scientifique signifie qu'il possède "deux nageoires en forme d'aviron", n'est pas très connu: "A l'échelle mondiale, il existe une grosse centaine de signalements. C'est un poisson qui n'a pas réellement d'intérêt: on ne le mange pas et il ne joue pas un grand rôle dans les écosystèmes et, par conséquent, il n'est pas très étudié", remarque-t-il.

Un poisson méconnu se nourrissant de plancton

Pour connaître son régime, l'équipe de recherche a analysé ses atomes de carbone, un élément qui constitue chaque être vivant: "Grâce à leur composition en protons et neutrons, on peut avoir une idée de ce que mange un poisson et où il se situe dans la chaîne alimentaire. La composition en carbone de la dirette ressemble un peu à celle des sardines et des anchois: on a pu la replacer dans le groupe des poissons qui mangent du plancton, plutôt dans le bas de la chaîne alimentaire", explique Pierre Cresson. "Ce poisson vit plutôt dans les profondeurs, mais va être capable de remonter à la surface pour se nourrir, là où se trouve la plus grande quantité de plancton dans les écosystèmes marins."

Et pour connaître son âge, les scientifiques ont analysé ses otolithes – un mot qui vient du grec et qui signifie "pierres d'oreille". Elles servent à l'audition du poisson, mais également à son équilibre, comme l'oreille interne chez l'être humain.

>> Une dirette de Parin, : Un spécimen de dirette de Parin (Diretmichthys parini), âgé de 33 ans, un poisson tropical pêché en mer du Nord. [IFREMER - Pierre Cresson]
Un spécimen de dirette de Parin (Diretmichthys parini), âgé de 33 ans, un poisson tropical pêché en mer du Nord. [IFREMER - Pierre Cresson]

Ces petits cristaux de carbonate de calcium sont localisés dans le crâne de l'animal, juste sous l'arrière du cerveau: "L'otolithe a une particularité très intéressante en science: elle grandit en même temps que le poisson et forme des cercles de croissance comme ceux que l'on retrouve dans un tronc d'arbre coupé. L'otolithe a des cercles clairs et foncés: chacun représente un an de la vie du poisson."

La dirette de Parin ramenée par les pêcheurs aux scientifiques avait 33 ans: "On sait que c'est une longévité assez importante. C'est une caractéristique que l'on retrouve la plupart du temps chez les poissons profonds qui grandissent doucement et qui peuvent atteindre des âges assez vénérables de plusieurs dizaines, voire centaines d'années."

De l'Indonésie au Svalbard

La grande question est désormais de savoir pourquoi un poisson tropical – qui s'épanouit dans les eaux d'Indonésie et de Madagascar – se retrouve désormais dans des zones aussi septentrionales: "Au-delà de l'Indonésie et des zones tropicales, on a une petite cinquantaine de signalement dans les eaux de l'Atlantique Nord, que ce soit le Portugal, l'Espagne ou l'Islande. On a l'impression de suivre une remontée graduelle de ce poisson, pour aboutir aujourd'hui à la mer de Norvège et à la limite du Svalbard: c'est une réponse classique des poissons au changement climatique. Ils remontent vers le Nord en réponse au changement de la température de l'eau, soit directement parce que la température de l'eau ne leur correspond plus, donc ils ont besoin de remonter pour rester dans des eaux qui leur conviennent bien."

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Il se peut aussi que ce déplacement soit dû à la modification des courants, désorientant les poissons, ou parce que les planctons changent: "Les proies dont ces poissons se nourrissent ne vont plus être les mêmes, ne seront plus adaptées. Et pour suivre cela, ils seront obligés de se déplacer."

Pour le chercheur, la cause principale de cette présence au Nord est donc bien le réchauffement climatique: "Ces écosystèmes plus septentrionaux, qu'ils soient terrestres ou marins, sont ce que l'on appelle les 'hot spots' du changement climatique, soit les endroits recevant le plus d'impact. Il y a là des transformations et des augmentations de la température de l'eau assez importantes qui pourraient expliquer la présence de la dirette de Parin à cet endroit."

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Basculement des écosystèmes

Un grand nombre d'espèces remontent graduellement vers le Nord avec des distances assez variables: "On est de l'ordre de la dizaine à la centaine de kilomètres par augmentation de 1 degré. En mer du Nord, on a une arrivée de merlus, une espèce d'intérêt économique, qui n'était pas présente il y a quelques décennies. C'est assez bien expliqué par le réchauffement des eaux dans cette zone", souligne Pierre Cresson.

Les biotopes se transforment grandement: certaines espèces sont directement remplacées par d'autres ou entrent en compétition. C'est le cas du merlu qui menace le lieu noir, car ces deux poissons ont une proie en commun: "Avec cette alimentation commune, il y aura moins à manger pour tout le monde, donc on aura des effets de basculement des écosystèmes."

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Sujet radio: Cécile Guérin

Article web: Stéphanie Jaquet

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