Publié

Les petites stations doivent-elles renoncer au ski? La fin d'un tabou

Les petites stations s'interrogent sur l'avenir du ski sous la pression des écologistes
Les petites stations s'interrogent sur l'avenir du ski sous la pression des écologistes / 19h30 / 2 min. / le 17 février 2019
Des associations de protection de la nature prônent la fin du ski à Evolène, station en difficulté, pour y développer un tourisme plus doux et durable. Reportage dans cette commune valaisanne.

C'est un peu l'opération de la dernière chance pour Evolène. La station valaisanne veut remplacer le télésiège vétuste qui mène à son domaine skiable par une télécabine. Un investissement de neuf millions de francs pour attirer davantage de skieurs.

Mais le WWF et la Fondation suisse pour la protection et l'aménagement du paysage (FP) ont déposé un recours contre ce projet. Objectif avoué de cette opposition: avoir leur mot à dire sur la planification touristique de la région.

Les deux organisations de protection de la nature se sont invitées à la table des acteurs locaux du tourisme. Une première séance de conciliation s'est tenue la semaine dernière. Une séance quelque peu houleuse, durant laquelle les associations ont demandé à Evolène de renoncer tout bonnement au ski.

Une prise en otage pour certains. "Honnêtement, pour avoir participé à la séance de conciliation, c'est vraiment le sentiment qui en est ressorti", déclare au 19h30 Gilles Praplan, directeur de Télé-Evolène. "On exige des choses de la commune d'Evolène en utilisant le prétexte de cette nouvelle installation pour bloquer tous les dossiers."

Vers "un tourisme du silence, de la beauté"

Pour le WWF Valais, il était légitime de profiter de ce renouvellement d'installation pour s'inviter à la table des négociations du futur développement touristique de la station valaisanne.

"Evolène a un domaine skiable déficitaire depuis des années. Plutôt que de rester sur l'ancien modèle du ski, il vaudrait mieux se tourner vers un autre tourisme", estime Marie-Thérèse Sangra, secrétaire régionale du WWF Valais. "Nous pensons qu'il faut plutôt un tourisme proche de la nature, un tourisme du silence, de la beauté, un tourisme de la détente. Et que ce tourisme, moyennant du marketing et un service à la clientèle soigné, a des chances, surtout dans une région comme Evolène."

Et de donner l'exemple du Kronberg, une station des Alpes appenzelloises qui a renoncé au ski en 2011 et qui affiche des bénéfices malgré tout.

"Se priver du ski est un pari risqué"

Mais la vingtaine d'employés de Télé-Evolène ne l'entendent pas de cette oreille. Cyrille Georges, agriculteur, y travaille depuis 10 ans. Le blocus des organismes de protection de la nature lui reste en travers de la gorge.

"Je pense à mes enfants, aux gens de la région", confie-t-il. "Il va falloir qu'il y ait une réflexion qui soit une peu plus longue que celle de tous ces organismes qui nous empêche d'avancer. Il va falloir qu'ils réduisent leurs attaques."

Les acteurs du tourisme craignent pour leur économie locale: la vingtaine d'emplois de Télé-Evolène, mais aussi les commerces de la région, magasins de sport, etc.

La présidente d'Evolène avoue de son côté que continuer à subventionner les remontées mécaniques ne constitue pas une politique durable. La commune injecte 550'000 francs par année depuis cinq ans dans des installations à bout de souffle. Mais de là à renoncer au ski, c'est une autre histoire.

"Est-ce que les gens viendraient encore sans le ski? Se priver du ski est un pari risqué", affirme Virginie Gaspoz. "Les magasins de sport, les restaurants, ce sont des places de travail et on y tient. C'est précieux pour une région de montagne comme Evolène. Et le ski est un rouage essentiel de l'économie locale."

"On peut vivre sans le ski": l'exemple de Château-d'Oex

Un exemple de station qui n'a plus de ski? C'est le cas de Château-d'Oex, privé de ski cette saison, non pas par choix mais par manque de moyens financiers.

Comme à Evolène, la station vaudoise consacrait un demi-million par année aux remontées mécaniques. "La commune a décidé d'arrêter d'injecter de l'argent car cela ne marchait pas", explique le syndic Eric Grandjean. "A Noël et Nouvel An, nous avons eu beaucoup de monde, et là les réservations pour les relâches sont bien parties. Il y a d'autres activités comme le parc ludique. On peut vivre sans le ski. On devra s'y faire."

A Château d'Oex, le désarroi de certains commerçants

Un discours que ne partagent pas les commerçants de la station vaudoise. Dominique Henchoz, qui gère deux magasins de sport, a pratiquement les larmes aux yeux lorsqu'il explique ce qu'il a perdu.

"Ce mois de janvier, je n'ai pas vu un pendulaire. Auparavant, ils venaient souvent de Lausanne et des environs. Nous avons perdu cela, c'est cash", raconte le commerçant.

"J'ai également perdu des groupes de ski qui venaient depuis l'Angleterre, ils ont dénoncé le contrat et sont partis dans une autre station, Nendaz pour ne pas la nommer. Ce sont plus de 200 enfants que j'ai perdus cash. J'y ai perdu... mais la patinoire y a aussi perdu, tout comme les restaurants (...). Mais il faut que l'on se batte, il y a un repreneur potentiel et aujourd'hui je lance un appel pour sauver les remontées mécaniques de Château-d'Oex", ajoute Dominique Henchoz.

Château-d'Oex, Evolène, et bien d'autres petites stations sont à la croisée des chemins. Abandonner le ski pour se lancer dans un autre tourisme: la question n'est désormais plus taboue.

Claudine Gaillard Torrent

Publié