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Dix ans après la mort de Soljenitsyne, quel héritage pour l'opposition russe?

En Russie, les opposants et les activistes dénoncent un régime autoritaire aux relents soviétiques.
En Russie, les opposants et les activistes dénoncent un régime autoritaire aux relents soviétiques. / 19h30 / 3 min. / le 3 août 2018
Alexandre Soljenitsyne, l'un des plus célèbres écrivains du XXème siècle et symbole de l'opposition au régime soviétique, est mort il y a dix ans. Aujourd'hui, que reste-t-il de cet héritage?

Il avait révélé au monde l'horreur du système carcéral soviétique grâce à ses oeuvres comme "L'archipel du Goulag", paru en 1973. Mais la jeune génération en Russie ignore à peu près tout de cette figure majeure de la dissidence en URSS, prix Nobel de littérature en 1970 pour ses romans.

En tant qu'opposant au régime soviétique, Alexandre Soljenitsyne est aujourd'hui très peu enseigné dans les lycées de Russie. Des oeuvres de l'écrivain figurent bien au programme des lycées, mais chaque enseignant décide par lui-même du temps à y consacrer, qui est souvent limité au strict minimum.

Ceux qui insistent sur ses oeuvres le font généralement pour des raisons politiques, allant à contre-courant de la tendance dominante qui voit en Russie une réhabilitation rampante de Staline et de toute la période soviétique, parallèlement à une volonté de ne pas insister sur les répressions meurtrières de l'époque communiste, voire de les ignorer.

La mauvaise pente

"Aujourd'hui, il n'y pas de répressions systématiques comme il y en avait en URSS. Néanmoins, nous sommes sur la mauvaise pente, car les répressions politiques s'intensifient", déplore Alexandre Podrabinek, vendredi au 19h30 de la RTS. Ce journaliste et écrivain dissident avait été condamné à la fin des années 70 à cinq ans d'exil en Sibérie, puis à trois ans de camps de travaux forcés après la publication de son livre "Médecine punitive" sur l'abus systématique de la psychiatrie à des fins politiques en URSS.

Selon lui, l'intensification de la répression précipiterait inévitablement la Russie vers un système totalitaire: "La seule question est de savoir à quelle vitesse nous y allons et quand allons-nous y retourner" souligne ce défenseur des droits de l'homme.

Longue liste d'opposants assassinés

Aujourd'hui comme hier, il faut un courage certain pour oser exprimer publiquement son désaccord avec le gouvernement. En témoigne, la longue liste d'opposants emprisonnés, exilés ou assassinés. Depuis le début des années 2000, on compte pas moins d'une dizaine de personnalités disparues dans des conditions troublantes.

Il ne reste désormais que quelques intrépides qui osent encore incarner un semblant de contestation au gouvernement.

Alexeï Navalny, le 25 décembre 2017 à Moscou. [EVGENY FELDMAN - EPA NAVALNY'S CAMPAIGN HEADQUARTERS]
Alexeï Navalny, le 25 décembre 2017 à Moscou. [EVGENY FELDMAN - EPA NAVALNY'S CAMPAIGN HEADQUARTERS]

Alexeï Navalny, avocat blogueur anticorruption, défie régulièrement Vladimir Poutine en organisant des manifestations, ce qui lui a valu plusieurs condamnations à de courtes peines.

Garry Kasparov, photographié en 2012. [keystone - LESZEK SZYMANSKI]
Garry Kasparov, photographié en 2012. [keystone - LESZEK SZYMANSKI]

L'ancien génie des échecs Garry Kasparov s'est engagé en politique à la fin de l'ère soviétique, avant de prendre part à la campagne électorale de l'ancien président russe Boris Eltsine. Dès 2005, il s'engage pleinement dans une carrière politique et dirige le mouvement L'Autre Russie, une coalition d'opposants à Vladimir Poutine. Plusieurs fois arrêté pour des manifestations non autorisées, il dénonce notamment l'invasion en 2008 de la Géorgie.

En 2009, l'ex-champion du monde d'échec de 1985 à 2000 fonde son nouveau parti politique Solidarnost, rassemblant les forces de droite. En 2013, se sentant menacé, Garry Kasparov choisit l'exil. D'abord en Suisse, puis aux Etats-Unis. Craignant pour sa vie, il se déplace en permanence avec cinq gardes du corps et refuse de voyager avec la compagnie aérienne Aeroflot.

Poutine est devenu non seulement un dictateur, mais une menace plus globale pour le reste du monde.

Garry Kasparov, ex-champion du monde d'échec et opposant à Vladimir Poutine

En 2015, il publie un livre pamphlet contre le pouvoir russe, dans lequel il affirme que la nouvelle police politique russe n'est autre que l'ancien KGB: "L'ascension de Vladimir Poutine, ancien lieutenant-colonel du KGB, à la présidence de la Russie aurait dû être le signal que le pays allait peu à peu s'éloigner de la démocratie. Pourtant, Poutine est devenu non seulement un dictateur, mais une menace plus globale pour le reste du monde."

Les Pussy Riot contre la toute-puissance du système

La semaine dernière, devant une prison moscovite, trois membre du groupe punk rock Pussy Riot pensaient être libérées après 15 jours de détention. Mais à peine sortie, la police les arrête à nouveau.

>> A voir en images :

A peine sorties de prison, des membres de Pussy Riot sont arrêtées
A peine sorties de prison, des membres de Pussy Riot sont arrêtées / Info en vidéos / 56 sec. / le 3 août 2018

Parmi les soutiens présents à leur sortie, Nikolaï Lyaskine, le bras droit d'Alexeï Navalny, que ce genre d'actions se produisent tous les jours. "Des gens, des activistes, des hommes d'affaires indésirables sont emprisonnés sans arrêt! Le but est de leur faire peur à eux, à leurs soutiens, et à toute la société."

Il y a 6 ans, Masha Alyokhina, une autre Pussy Riot, était condamnée à deux ans de colonie pénitentiaire, pour avoir prononcé une prière punk anti-Poutine à Moscou. Depuis sa libération, elle lutte pour les droits des prisonniers.

"Dans notre pays, il y a plus de 1500 colonies pénitentiaires. Dans chacune d'entre elles, il y a un truc hérité du Goulag qui s'appelle le travail forcé. Et si une personne décide de rédiger une plainte ou de s'adresser aux défenseurs des droits de l'homme, elle se heurte à tout l'appareil répressif. Dans le meilleur des cas, elle part 15 jours en cellule d'isolement. Dans le pire, il y a la torture".

>> Relire sur ce sujet : "La Russie se trouve isolée, comme s'il y avait un nouveau rideau de fer"

Une cinquantaine de prisonniers politiques

L'ONG russe Memorial a compté une cinquantaine de prisonniers politiques en Russie.

Le plus célèbre d'entre eux, le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, est en grève de la faim depuis 82 jours. Détenu dans une geôle du nord-est de la Sibérie, il a été condamné à 20 ans de prison pour complot terroriste en Crimée, accusation qu'il réfute.

Dans les colonies pénitentiaires, les gens se font battre et tuer. Cela se produit systématiquement et massivement. Ce système est hérité du Goulag.

Masha Alyokhina, membre des Pussy Riot

Le Goulag, sujet de l'oeuvre majeure d'Alexandre Soljenitsyne. L'année 2018, dixième anniversaire de sa mort et centième anniversaire de sa naissance, a été marqué notamment par l'organisation de plusieurs expositions et l'inauguration d'une statue de l'écrivain dans la rue qui porte son nom à Moscou.

L'année dernière, un sondage de l'institut VTsIom sur les "idoles russes du XXe siècle" plaçait Alexandre Soljenitsyne en cinquième position, derrière l'acteur et chanteur Vladimir Vyssotski, le premier cosmonaute Iouri Gagarine, le maréchal Guéorgui Joukov, héros de la Deuxième Guerre mondiale et Staline.

Feriel Mestiri avec Elena Volocine et agences

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