Publié

La monnaie de Daech, "on ne la voit pas, elle n'existe pas!"

Des exemples de la monnaie annoncée par l'Etat islamique circulent sur les réseaux sociaux. [Twitter]
La monnaie de Daesh, un simple outil de propagande? / Tout un monde / 5 min. / le 4 juillet 2016
Le groupe Etat islamique avait annoncé l'été dernier la mise en circulation de sa propre monnaie, à grand renfort de publicité. Mais sa création pourrait bien n'avoir été qu'un élément de plus de son programme de propagande.

C'est la conclusion à laquelle est arrivé Jérôme Jambu, conservateur au Département des monnaies de la Bibliothèque nationale de France, qui s'est plongé dans l'étude de cette monnaie spécifique.  "Il n'y a pas de vraie monnaie, sauf peut-être quelques essais pour montrer aux officiels, pour voir à quoi cela ressemblerait si on pouvait en faire une. Les Irakiens avancent depuis plusieurs semaines et on n'a eu aucun écho de trouvaille de ces monnaies", constate-t-il.

Pour ce spécialiste, le groupe Etat islamique veut reproduire la politique monétaire du premier califat, à la fin du VIIe siècle. "Il l'a annoncé de manière très officielle le 13 novembre 2014, lorsque son bureau des affaires financières a proclamé la création de "monnaies spécifiques à l'Etat islamique" pour "remplacer celles d'un ordre économique aux mains des juifs et des croisés".

S'affranchir du dollar

L'organisation terroriste voulait s'affranchir, en fait, d'un système monétaire occidental construit autour du dollar. Et cette nouvelle monnaie avait alors frappé les esprits, rappelle Jérôme Jambu: "Tout le monde titrait, en tout cas dans la presse française: 'Daech devient un Etat', 'Le nouveau pas de Daech pour devenir un Etat'…  Nos médias ont suivi, Daech a réussi son coup".

C'est à partir d'août 2015 que le groupe Etat islamique a annoncé, vidéos à l'appui, la mise en circulation de sa monnaie. Mais les seules informations diffusées sont des images. "Ce sont des dessins, des images de synthèse, quelques photographies et captures d'écran, mais qui sont toujours floues ou sans échelle", souligne le conservateur, qui note que l'intégralité de ces documents a été diffusée par le groupe terroriste lui-même.

Depuis, personne n'en parle plus, y compris les djihadistes qui pourtant ne manquent pas une occasion d'abreuver le monde de vidéos. Et personne n'a pu ramener de preuves de la circulation des pièces. "Cette monnaie, on ne la voit pas, elle n'existe pas."

Incapacité matérielle de produire une monnaie

Un autre élément fait planer le doute sur son existence réelle: l'incapacité du groupe Etat islamique à pouvoir la fabriquer en série. Il a décidé en effet de frapper des pièces dites intrinsèques, dont la valeur correspond à celle des métaux précieux qui les composent: l'or pour le dinar, l'argent pour le dirham et le bronze pour le foulousse.

Or, explique Jérôme Jambu, "pour fabriquer ces monnaies, il faut deux choses: il y a le matériel de frappe et des graveurs qui sont capables de préparer les monnaies. Et ensuite, il faut du métal précieux." Un rapide calcul amène le spécialiste à sa conclusion: "Daech annonce que son dinar d'or doit peser 4 grammes 25. Il a volé dans la banque centrale de Mossoul 200 kilos d'or. Avec cela, vous ne faites jamais que 54'000 pièces d'un dinar. C'est rien. On pourrait imaginer que Daech pille d'autres ressources de métaux précieux (…) Mais matériellement, il n'a pas suffisamment de métal pour fabriquer cette soi-disant monnaie précieuse".

Il ne s'agirait donc que d'une supercherie. Seules quelques rares pièces circulent;  et au vu de la taille des territoires contrôlés, elles doivent avoir du mal à être échangées.

Mais Daech a trouvé la parade face aux soupçons, en accusant les Chinois d'avoir falsifié sa monnaie. Or, si ces derniers sont bel et bien les plus grands faussaires sur le marché numismatique international reconnaît Jérôme Jambu, il ne croit pas une seconde à cette thèse.

"Une technique d'enfumage"

"C'est extraordinaire de voir que sur l'un des sites de propagande islamiste de Daech, il dit 'attention, des faux chinois de notre monnaie circulent'. C'est-à-dire que les quelques monnaies qu'on a vu passer (…) Daech essaie de nous faire croire que ce sont des faux chinois (…) C'est encore une technique d'enfumage."

Faire circuler le bruit que sa monnaie serait déjà falsifiée, c'est - quelque part - cimenter la construction de ce nouvel Etat islamique. Si quelques pièces intrinsèques ont été, sont ou seront encore frappées, il ne faut donc pas prendre cette monnaie pour argent comptant. Elle constitue surtout un produit de propagande pour asseoir, aux yeux du monde occidental, la légitimité de ce califat auto-proclamé.

Olivier Schorderet/oang

Publié