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Questions autour des relations de Jorge Bergoglio avec le pouvoir en Argentine

"Le cardinal qui ne craint pas le pouvoir", affirme cette Une brandie par une fidèle argentine fêtant l'élection du nouveau pape. [Victor R. Caivano]
"Le cardinal qui ne craint pas le pouvoir", affirme cette Une brandie par une fidèle argentine fêtant l'élection du nouveau pape. - [Victor R. Caivano]
En Argentine, deux polémiques entourent l'élection de l'archevêque de Buenos Aires comme successeur à Benoît XVI: son rôle exact durant la dictature militaire et sa relation difficile avec le couple présidentiel des Kirchner.

Deux controverses touchent l'image de l'archevêque de Buenos Aires Jorge Bergoglio - désormais pape François (lire: L'Argentin Jorge Mario Bergoglio devient le pape François ). Son attitude floue lors de la dictature argentine et, plus récemment, son opposition aux politiques sociétales des gouvernements du couple Kirchner (feu Nestor de 2003 à 2007, puis son épouse Cristina, depuis 2007) sont sources de discussions.

Le journal de gauche Página12 - proche du gouvernement actuel - revient jeudi sur les questions autour de l'attitude du nouveau pape face à la junte militaire de Jorge Videla (1976-1983), qui l'a obligé à se présenter face à la justice argentine en tant que témoin en 2010.

Prêtres arrêtés

Des témoins et des organisations de droits de l'homme affirment que Jorge Bergoglio - alors à la tête de la Compagnie de Jésus - aurait levé la protection dont disposaient deux prêtres travaillant dans un bidonville de la capitale argentine, soupçonnés par la junte d'activités "subversives". Séquestrés durant cinq mois, les deux hommes étaient réapparus vivants avec d'évidents signes de torture.

L'un des deux prêtres a toujours soutenu que Jorge Bergoglio leur avait demandé d'abandonner leur travail social, ce qu'ils avaient refusé, menant à leur exclusion de la Compagnie de Jésus, une action interprétée par certains comme un feu vert donné aux militaires pour procéder à des arrestations.

"J'ai fait ce que j'ai pu"

Le journal Perfil profite de l'élection du cardinal Bergoglio pour republier l'un des rares entretiens donnés par l'homme d'église sur le sujet, accordé en 2010. Il y affirme avoir "fait le maximum avec (son) âge et le peu de relations dont (il) disposait à l'époque afin de défendre les personnes séquestrées".

Dans la même interview, il ajoute au contraire avoir sauvé la vie d'un opposant, sorti déguisé du pays grâce aux papiers d'identité et aux habits du prêtre, et avoir aidé à cacher des dissidents dans des propriétés de l'église.

En octobre 2012, l'Eglise argentine - dirigée par Jorge Bergoglio - avait offert des excuses pour ne pas avoir assez défendu le peuple durant la décennie des années 1970, tout en accusant la violence de l'époque - des militaires comme des opposants - pour cette situation.

De fausses photos circulent

Cette polémique de l'époque sombre de l'Argentine a de plus été alimentée ces dernières heures par la circulation sur les réseaux sociaux et dans des journaux de plusieurs photos censées représenter le nouveau pape aux côtés du général Jorge Videla, toutes trois fausses (voir notre galerie).

La première, montrant un religieux de dos donnant l'hostie à Jorge Videla, a rapidement commencé à être partagée sur Twitter dès l'annonce du Vatican mercredi soir. Alors que la photo montre un homme d'un âge avancé, Jorge Bergoglio n'avait pas encore 40 ans à l'époque.

Une autre photo, également massivement partagée sur les réseaux sociaux, montre en réalité le cardinal italien Pio Laghi, ancien nonce apostolique auprès de Buenos Aires, marchant aux côtés de Jorge Videla.

Enfin, des journaux mexicains ont publié une image du cardinal Antonio Samoré avec Jorge Videla, censée illustrer les liens entre le nouveau pape et le pouvoir dictatorial de l'époque.

Marc Renfer

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En conflit avec les Kirchner

En tant qu'archevêque de Buenos Aires, Jorge Bergoglio a souvent critiqué certains aspects de la politique de l'ancien président argentin Nestor Kirchner et de son épouse Cristina, actuellement à la tête du pays.

En 2004, il regretta "l'exhibitionnisme et les annonces stridentes" du gouvernement. Nestor Kirchner l'identifia alors comme un opposant politique, et évita tout contact avec le futur pape, raconte Clarín, le journal le plus lu d'Argentine.

La rupture devint plus importante lors des projets de mariage entre personnes du même sexe. En plein débat sur le projet de loi, Jorge Bergoglio avait alors envoyé une lettre à des responsables religieux: “Ne soyons pas naïfs: il ne s’agit pas seulement d’un combat politique. Il y a a prétention de détruire le plan de Dieu”, avait-il écrit, raconte le journal conservateur La Nación.

Parallèlement à ces positions, Jorge Bergoglio a également montré un intérêt pour la situation sociale et la pauvreté. Le journal Página12 relève également le mode de vie austère du nouveau pape, qui se déplaçait en transports publics et évitait tout signe ostentatoire.

La Nacíon, opposé au gouvernement, raconte que l'élection d'un pape argentin n'aurait pas été accueillie comme une bonne nouvelle par les autorités. Le quotidien relève que la présidente a mis deux heures à transmettre sa réaction officielle et qu'elle aurait eu "de la peine à dissimuler son malaise et sa surprise".

Malgré ces tensions, l'entourage de Cristina Kirchner a assuré que la présidente se rendrait à Rome pour l'intronisation. Cette dernière a par ailleurs partagé sur twitter son message officiel de félicitation:

A su Santidad Francisco I twitter.com/CFKArgentina/s…

— Cristina Kirchner (@CFKArgentina) March 13, 2013

Critique du FMI et de la dette extérieure

Le journal économique et libéral argentin Ambito Financiero revient de son côté sur la vision économique du pape François.

Il rappelle que Jorge Bergoglio s'était opposé aux politiques "d'ajustement" dictées par le Fonds monétaire international (FMI) lors de la crise économique qu'a traversée l'Argentine en 2001. Il appuya également le processus de restructuration de la dette de 2005.

En octobre 2011, il signa une forte critique contre l'austérité appliquée dans les pays européens en crise, utilisant pratiquement les mêmes arguments que pour la crise argentine, affirmant que le FMI avait perdu sa capacité à garantir la stabilité financière globale et que le libéralisme économique sans règles et sans contrôles était une des causes de la crise économique, créant des marchés financiers fondamentalement spéculatifs, nocifs pour l'économie réelle, en particulier dans les pays faibles.

Les sites d'information argentins surchargés

A peine quelques minutes après l'annonce du choix du nouveau pape, la quasi-totalité des sites internet des médias argentins sont devenus inaccessibles, victimes de l'intérêt des internautes argentins et étrangers.

Une situation qui n'avait été connue que lors des attentats du 11 septembre 2001, raconte La Nación, qui affirme avoir dû supprimer toutes les informations ne concernant pas le pape afin d'assurer l'accessibilité de son site.

Sur Twitter, le hashtage #Bergoglio a atteint un pic de 60'000 tweets par heure, selon une étude de Jeffrey Group, citée par le journal de Buenos Aires.