Après le décompte de plus de 99% des votes, Javier Milei possède plus de onze points d'avance sur son rival péroniste, selon les résultats communiqués par le secrétariat général de la présidence. Sergio Massa était pourtant arrivé en tête du premier tour le 22 octobre.
Le président-élu, qui prendra ses fonctions le 10 décembre, a affirmé dimanche soir dans son discours de victoire qu'"aujourd'hui commence la fin de la décadence" et la "reconstruction de l'Argentine". "C'est une nuit historique", a-t-il lancé à plusieurs milliers de partisans devant son QG de campagne à Buenos Aires. "C'en est fini du modèle appauvrissant de la caste. Aujourd'hui, nous adoptons le modèle de la liberté pour redevenir une puissance mondiale."
"Nous sommes confrontés à des problèmes monumentaux: l'inflation, la stagnation, l'absence de véritables emplois, l'insécurité, la pauvreté et la misère", a énuméré Javier Milei. "Des problèmes qui n'auront de solution que si nous adoptons à nouveau les idées de liberté."
"Il n'y a pas de place pour le gradualisme, il n'y a pas de place pour la tiédeur ou les demi-mesures", a-t-il prévenu. Il a tendu la main à "tous les Argentins et dirigeants politiques, tous ceux qui veulent se joindre à la nouvelle Argentine", mais a aussi mis en garde contre d'éventuelles résistances sociales à ses réformes.
Un tournant pour l'Argentine
Quelques minutes avant l'annonce de ces résultats, Sergio Massa avait concédé sa défaite. Javier Milei "est le président que la majorité des Argentins a élu pour les quatre prochaines années", a-t-il déclaré devant ses partisans réunis à son QG de campagne de la capitale. Il a dit avoir appelé Javier Milei pour "le féliciter et lui souhaiter bonne chance".
Le président brésilien Lula, qu'il avait traité de "communiste corrompu", lui a également souhaité dimanche "bonne chance et réussite".
Cette élection marque un tournant, avec la défaite des deux grands blocs - la coalition péroniste (centre-gauche) au pouvoir de 2003 à 2015 puis de 2019 à 2023, et le bloc de centre-droit qui a gouverné de 2015 à 2019 - qui dominaient la politique argentine depuis vingt ans.
Dans la lignée de Trump ou Bolsonaro
Donné favori avant même le premier tour, Javier Milei est le visage de la colère de la population argentine, après des années de marasme économique caractérisé par une inflation à deux chiffres et surtout une pauvreté endémique.
Nouveau venu en politique, cet économiste de 53 ans a tout misé sur un discours antisystème dans un style très populiste et agressif. Il a notamment évoqué une "dollarisation" de l'économie argentine et veut "dynamiter" la Banque centrale. Il s'oppose à toutes aides sociales, qu'il accuse d'être la source de l'endettement du pays, et veut couper dans une majorité des services publics, dont l'école gratuite. Enfin, il nie la responsabilité humaine dans le changement climatique.
L'ex-président américain Donald Trump a salué cette élection sur son réseau Truth Social. "Je suis très fier de toi. Tu vas transformer ton pays et faire de l'Argentine à nouveau un grand pays", a-t-il écrit.
L'ancien président brésilien d'extrême-droite Jair Bolsonaro s'est également félicité de cette victoire, estimant que "l'espoir brille à nouveau en Amérique du Sud" et espérant que les "bons vents atteindraient les Etats-Unis et le Brésil".
Quels alliés pour gouverner?
Le parti de Javier Milei, La Libertad Avanza, avait fait en 2021 son entrée au Parlement avec trois députés. Il est désormais, avec 38 députés sur 257, la troisième force d'une chambre basse sans majorité absolue, mais où le bloc péroniste reste dominant (108).
Des alliances, ponctuelles ou durables, seront donc indispensables, comme avec le bloc de droite Juntos por el Cambio (93 députés). Mais celui-ci n'a jamais paru aussi proche d'imploser, après s'être déchiré sur la question du soutien ou non au futur président au second tour.
jop avec agences
Quels défis pour le nouveau président?
Dans son programme, Javier Milei propose une "thérapie de choc" pour la troisième économie d'Amérique latine. Il sera confronté, dès son investiture le 10 décembre, à des défis économiques majeurs, mais aussi de gouvernance et de paix sociale.
Face au déficit budgétaire important, le futur président entend à réduire à la "tronçonneuse" la dépense publique (de 15%). Il prévoit aussi des privatisations pour obéir à la "discipline budgétaire" exigée par le Fonds monétaire international (FMI), auquel le pays s'éreinte a rembourser un prêt de 44 milliards de dollars octroyé en 2018.
Javier Milei souhaite toutefois "un ajustement beaucoup plus dur" que celui demandé par le FMI. Il prône la fin des subventions "chroniques", pour le transport ou l'énergie par exemple, une libéralisation des prix et la suppression des taxes à l'exportation.
"Dollarisation" délicate
Sa volonté d'assécher la dépense publique soulève le problème de l'impact social dans un pays où 40% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté et 51% reçoivent une forme d'aide ou des subsides. Sans compter des syndicats au fort pouvoir de mobilisation. Certains craignent ainsi que le nouveau président n'emprunte une voie très répressive.
Pour compenser en partie ces coupes, "il faudrait de fortes incitations à un marché du travail formel pour augmenter les rentrées fiscales", estime Mara Laura Alzua, économiste de l'Université de La Plata. Une véritable montagne à gravir dans un pays où 47% de l'emploi est informel.
La dollarisation de l'économie, pour laisser mourir de sa belle mort un peso argentin en constante dépréciation, est une clef du programme du futur président pour "assécher" l'inflation. Selon lui, il suffirait d'utiliser "les dollars que les Argentins économisent depuis des années sous l'oreiller", car le pays "est le troisième au monde en quantité de dollars physiques" détenus.
Près de 170 économistes de divers bords ont prévenu dans un récent manifeste qu'à court terme, une "dollarisation" pourrait alimenter l'inflation.
La mémoire fracturée?
Enfin, pour la première fois en 40 ans de démocratie, le consensus sur le legs de la dictature (1976-1983) s'est fissuré lors de la campagne, avec la négation par Javier Milei du bilan de morts et disparus. Sa référence à une "guerre" civile plutôt qu' à une "dictature" pour qualifier cette époque a également choqué.
L'héritage de la dictature, sujet hyper-sensible, avait jusqu'à présent été épargné par les divisons partisanes. Une rupture pourrait, là aussi, donner matière à mobilisations.
Une victoire aux conséquences économiques, estiment les analystes
La victoire de Javier Milei devrait exercer une pression à la baisse sur le peso mais pourrait être mieux perçue par les détenteurs d'obligations, estiment des analystes.
Les marchés argentins sont fermés ce lundi en raison d'un jour férié et l'impact de cette victoire ne se fera pleinement ressentir que mardi. Toutefois, les obligations souveraines cotées à l'étranger et certaines actions seront négociées lundi, principalement en Europe et aux Etats-Unis.
"À court terme, les obligations vont réagir positivement mais nous nous attendons à des pressions sur le marché des changes en raison de l'incertitude qui règne jusqu'au 10 décembre", estime Juan Manuel Pazos, économiste chez TPCG.