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"Fragilisé, l'Iran essaie de normaliser ses relations avec certains pays de la région"

Géopolitis: Iran, un an de lutte [Keystone - AP Photo/Middle East Images]
Iran, un an de lutte / Geopolitis / 24 min. / le 1 octobre 2023
Un an après la mort de la jeune Mahsa Amini qui a provoqué une révolte sans précédent en Iran, le régime s’est encore durci. Mais la répression n’empêche pas le mouvement de se poursuivre. Face à son impopularité grandissante, la République islamique tente de restreindre son isolement diplomatique.

Le 16 septembre marquait l'anniversaire de la mort de Mahsa Amini, cette jeune Iranienne décédée à Téhéran il y a un an, après son arrestation par la police des moeurs pour un voile mal ajusté. Les rares commémorations, filmées discrètement, ont été relayées par des activistes, des opposants et des journalistes sur les réseaux sociaux.

Les grandes manifestations ont pris fin, mais la contestation du régime des mollahs continue par d’autres moyens. Des Iraniennes sortent sans voile pour défier le pouvoir et s’encouragent mutuellement sur les réseaux sociaux, malgré les risques.

La répression a été impitoyable. En un an, elle a fait 551 morts et de nombreux blessés, selon l'ONG Iran Human Rights. Plus de 22'000 personnes ont été arrêtées, selon Amnesty International. Sept hommes ont également été exécutés. A l'approche des commémorations, les forces de l’ordre ont été massivement déployées et les arrestations se sont multipliées.

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"Le régime a été très ébranlé par ces révoltes, parce que pour la première fois, on a des pans entiers des catégories sociales qui sont impliqués dans un mouvement contre le régime", constate la sociologue franco-iranienne Azadeh Kian, invitée dans

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Professeure à l'Université Paris Cité et spécialiste de l'Iran, elle pointe le "décalage important" entre d'un côté, la majorité de la population iranienne, "une jeunesse qui aspire à l'ouverture sur le monde, qui a grandi avec les réseaux sociaux, très bien éduquée et formée." Et de l'autre, des "institutions archaïques, avec une élite au pouvoir, une élite idéologique et religieuse, qui n'hésite pas à réprimer dans le sang toute velléité de changement."

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Retour sur la scène diplomatique

Alors que l'Iran tentait d'étouffer toute manifestation en mémoire de Mahsa Amini, il finalisait au même moment un échange de prisonniers avec les Etats-Unis. Le régime a obtenu le transfert de 6 milliards de dollars de fonds bloqués en Corée du Sud.

Un événement qui doit s'interpréter sous le prisme de l'impopularité grandissante du régime islamique, selon Azadeh Kian. "Face à cette impopularité et à cette fragilisation du régime à l'intérieur, [l'Iran] est en train d'essayer de normaliser ses relations avec certains pays de la région. Et de tenter de discuter même directement avec les Etats-Unis autour des contentieux nombreux, afin d'essayer de se renforcer, à la fois à l'intérieur, et au niveau régional et international."

Fin août, aux côtés d'autres pays, l'Iran a obtenu son intégration au sein des BRICS, qui réunit le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. En juillet, le pays est aussi devenu membre de l’Organisation de coopération de Shanghai, structure régionale formée autour de la Chine et de la Russie.

L'Iran, invité à rejoindre les Brics, est aussi devenu membre de l'Organisation de coopération de Shanghai en juillet. [RTS - Géopolitis]
L'Iran, invité à rejoindre les Brics, est aussi devenu membre de l'Organisation de coopération de Shanghai en juillet. [RTS - Géopolitis]

En mars, c’est avec le grand rival saoudien que l'Iran jetait les bases d’un rapprochement. "N'oublions pas que cela faisait de nombreuses années que les négociations entre les deux pays étaient en cours", rappelle Azadeh Kian. "Finalement, c'est la Chine qui a réussi à les réunir. (...) Au moment justement où le régime islamique a été ébranlé par cette révolution en cours à l'intérieur du pays."

L'Iran a aussi rétabli ses relations diplomatiques l'an dernier avec les Emirats arabes unis et le Koweït. Des contacts seraient également en cours avec le Bahreïn, le Soudan et l'Egypte.

Dissensions

Avec l'élection d'Ebrahim Raïssi en 2021, les ultra-conservateurs ont désormais la haute main sur la quasi-totalité des pouvoirs en Iran. Le président Raïssi "est l'un des plus durs du régime", estime Azadeh Kian. "Il a été nommé par le guide, est très proche du guide, il obéit à 100% au guide", poursuit-elle, en faisant référence à l'ayatollah Ali Khamenei.

"Des durs du régime tentent de se maintenir au pouvoir, à travers une répression de plus en plus importante, et en particulier contre les opposants et surtout contre les femmes qui refusent de se soumettre aux diktats de ce régime. Le pouvoir des mollahs survit aussi grâce aux rentes pétrolières. L'Iran est parvenu à contourner les sanctions américaines en vendant notamment son pétrole à la Chine et a su profiter du resserrement du marché mondial.

Le durcissement de la répression face aux manifestants a pourtant fait naître nombre de dissensions au sein même de l'élite religieuse et politique. "Les dissensions sont en cours, mais pas encore au point de faire effondrer le régime", relève Azadeh Kian. "Mais au fur et à mesure que la pression sociale continue, on peut s'attendre à davantage de dissensions au sein du régime."

Mélanie Ohayon, Elsa Anghinolfi

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