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"C'est dans l'intérêt évident de la Russie d'avoir un front supplémentaire contre l'Occident"

Géopolitis: Kosovo déchiré [Keystone - EPA/GEORGI LICOVSKI]
Kosovo déchiré / Geopolitis / 26 min. / le 25 juin 2023
La récente flambée de violences dans le nord du Kosovo fait craindre l'éclatement d'une crise plus large dans la région. Au-delà de la rivalité entre le Kosovo et la Serbie, une lutte d'influence se joue entre la Russie et les puissances occidentales.

"Ce qui est extrêmement surprenant et inquiétant, c'est le fait que la KFOR ait été attaquée directement", souligne d'emblée l'ancien ambassadeur suisse au Kosovo Jean-Hubert Lebet. Invité dans Géopolitis, le diplomate s'étonne de la tournure particulièrement violente des derniers incidents au nord du Kosovo, dirigés contre les forces de maintien de la paix de l'Otan, la KFOR.

Devant la mairie de Zvecan fin mai, des centaines de manifestants serbes ont affronté la police kosovare et les soldats de l'Otan. Ces violences ont fait plus de 80 blessés, dont une trentaine de soldats de la KFOR. Depuis plusieurs semaines, les manifestants réclamaient le départ du maire albanais fraîchement élu dans cette ville à majorité serbe. Dans les localités du nord, les dernières élections ont été massivement boycottées par la communauté serbe. Avec un taux de participation en dessous de 4%, des albanophones se sont tous retrouvés en tête des scrutins.

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Plaques d'immatriculation dans le viseur

Le Premier ministre kosovar Albin Kurti s'est montré déterminé depuis le début la crise à réaffirmer la souveraineté du Kosovo dans le nord du pays. La région, peuplée essentiellement de Serbes, vit habituellement à l'heure de Belgrade. Cette nouvelle flambée de tensions remonte à plusieurs mois. Pristina avait décidé de ne plus autoriser les plaques d'immatriculation serbes dans cette partie du Kosovo. Cette décision a provoqué des démissions en cascade dans toute la fonction publique, y compris les maires serbes des localités du nord. Pristina accuse également Belgrade d’avoir mobilisé des groupes criminels pour attiser les violences.

"En principe, le nord du Kosovo fait partie du Kosovo, qui a des lois et où les plaques sont faites d'une certaine façon", poursuit Jean-Hubert Lebet. Or, "il existe des structures parallèles serbes qui refusent de s'adapter. Les plaques sont en caractères cyrilliques. On ne paye pas les factures d'électricité au Kosovo. On ne respecte pas les règles. Jusqu'à récemment, les officiels kosovars n'avaient pas le droit d'entrer. Et le régime [du président serbe] Vucic impose des cadres, que ce soit des juges ou des policiers, pour garder la mainmise sur le nord du Kosovo", dit-il.

Un tiers des Serbes du Kosovo vivent dans le nord du pays. [RTS - Géopolitis]
Un tiers des Serbes du Kosovo vivent dans le nord du pays. [RTS - Géopolitis]

Les Occidentaux pressent Kurti

Après plusieurs semaines de pressions occidentales - Paris, Berlin et Washington en tête - pour organiser de nouvelles élections, le Premier ministre kosovar Albin Kurti s'est dit prêt à des concessions. Pristina compte organiser de nouveaux scrutins dans les localités du nord, à condition que les violences cessent. Les tensions sont à nouveau montées d’un cran mi-juin, avec l'arrestation par la Serbie de trois policiers kosovars soupçonnés d’actes terroristes.

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L'Union européenne somme depuis plusieurs semaines Pristina et Belgrade de régler leur contentieux. Les dirigeants serbe et kosovar, invités jeudi à Bruxelles pour des pourparlers, ont refusé de se rencontrer. "Il est impératif de faire baisser la tension et d'organiser de nouvelles élections dans le nord avec la participation des Serbes du Kosovo. C'est crucial pour la région et pour l'UE", avait alors plaidé le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell. Crucial pour une Europe désireuse de ne pas laisser la Serbie se rapprocher plus de la Russie. La Serbie est officiellement toujours candidate à l'Union européenne, mais cultive de bonnes relations avec Vladimir Poutine. Elle est l’un des seuls pays européens à ne pas avoir pris de sanctions contre la Russie après l'invasion de l'Ukraine.

Le président serbe Aleksandar Vucic entretient lui-même cette ambiguïté. "Je n’ai toujours pas compris l'indulgence des Occidentaux vis-à-vis de la Serbie", déplore Jean-Hubert Lebet. "La raison du plus fort est toujours la meilleure. C'est plus simple pour les chancelleries occidentales de soutenir la Serbie et taper sur le petit."

Le Kosovo a déclaré son indépendance en 2008 et celle-ci est reconnue par environ la moitié des pays membres des Nations unies. De son côté, la Serbie n’a jamais reconnu l'indépendance du Kosovo, tout comme plusieurs pays de l'Union européenne, la Chine et la Russie.

Fibre nationaliste

"Le Kosovo, c'est le cœur de la Serbie", c'est avec ces mots signés sur une caméra de Roland-Garros que le tennisman Novak Djokovic a attisé un peu plus les ferveurs nationalistes. "Je sens une responsabilité à donner mon soutien à notre peuple et à toute la Serbie", avait-il justifié.

Novak Djokovic a 4 ans lorsque la guerre de Yougoslavie éclate. Il est élevé dans un nationalisme exacerbé. Comme lui, deux tiers des Serbes estiment que le Kosovo leur revient de droit. C'est sur ce territoire qu'est née au 13ème siècle l'Eglise orthodoxe serbe indépendante. Quatre églises classées à l'Unesco témoignent de cette présence antérieure à l'invasion ottomane et à l'islamisation du Kosovo, aujourd'hui musulman à près de 90%.

A ce récit, entretenu par les nationalistes serbes, vient s’ajouter un fort ressentiment anti-occidental. A Belgrade, on n'a pas oublié les bombardements de l'Otan en 1999. Une rancoeur qui profite à la Russie. Vladimir Poutine affiche son soutien à la Serbie sur la question du Kosovo.

Et sur les murs de Belgrade ces derniers mois fleurit l'emblème du groupe de mercenaires russes Wagner. "Cela manifeste clairement de la présence russe dans la région et de l'augmentation de la présence russe dans la région. C'est dans l'intérêt évident de la Russie d'avoir un front supplémentaire contre l'Occident", commente Jean-Hubert Lebet.

L'Otan a pour sa part réaffirmé l'engagement "inébranlable" de la KFOR au Kosovo. L'Alliance atlantique a même renforcé ses effectifs sur place après les récentes violences. Près de 4000 soldats y sont mobilisés, après le renfort d'un bataillon venant de Turquie. "Les troupes de l'Otan, qui se trouvent au Kosovo, mobilisent l'attention et les craintes", poursuit le diplomate. "Et il n'y a pas seulement la Russie. Il y a la présence chinoise, la présence turque, qui occupent maintenant un espace qui est un peu laissé de côté par les grandes puissances traditionnelles qu'étaient l'Union européenne et les Etats-Unis."

Mélanie Ohayon, Juliette Galeazzi

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Kosovo, le long chemin vers l'indépendance

Longtemps rattaché à la république de Serbie, le Kosovo était une province autonome au sein de l’ex-Yougoslavie.

1989 Le président serbe Slobodan Milosevic réduit considérablement l’autonomie du Kosovo.

1991 Alors que la Yougoslavie se délite, les Albanais du Kosovo organisent un référendum en faveur de l'indépendance.

1996 Les tensions avec la Serbie dégénèrent, avec la montée en puissance de l’Armée de libération du Kosovo, l’UÇK, qui multiplie les attaques contre les forces serbes.

1998-1999 Après un an de conflit armé, et une intense répression des Albanais du Kosovo par la Serbie, l'Otan intervient et mène une campagne massive de bombardements sur des positions serbes, notamment sur Belgrade.

2008 Le Kosovo déclare son indépendance. Elle n'est pas reconnue par la Serbie.