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Boris Cyrulnik: "Toutes les guerres sont déclenchées par des causes stupides"

Entretien avec Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et éthologue sur son dernier livre "Le laboureur et les mangeurs de vent"
Entretien avec Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et éthologue sur son dernier livre "Le laboureur et les mangeurs de vent" / 19h30 / 8 min. / le 27 mars 2022
Interrogé dimanche dans le 19h30, l'écrivain et neuropsychiatre Boris Cyrulnik évoque les parallèles entre la guerre en Ukraine et ses souvenirs d'enfance de la Seconde Guerre mondiale. Il dénonce notamment cette époque qui "valorise les discours délirants" et ces "sauveurs de la nation" qui peuvent faire "perdre l'aptitude d'un peuple à juger".

Dans son dernier livre "Le laboureur et les mangeurs de vent", Boris Cyrulnik lève le voile sur son enfance marquée par la guerre et fait écho à l'actualité ukrainienne. D'un côté les mangeurs de vents, ceux qui se soumettent avec soulagement aux chefs autoritaires et, de l'autre, les laboureurs qui creusent leur propre sillon, leur propre réflexion.

Alors que les images de la guerre en Ukraine circulent partout, d'autres refont surface dans l'esprit du neuropsychiatre: celles de la Seconde Guerre mondiale. Ses parents sont morts à Auschwitz, lui a échappé à la déportation nazie.

"J'étais convaincu que la guerre ne reviendrait jamais en Europe. Pour moi, c'était impensable! Et là, ce que je vois me terrorise parce que je vois apparaître les mêmes images, les mêmes mots, les mêmes problèmes qu'il y a 80 ans, comme si l'expérience ne nous servait à rien..." souffle-t-il.

La maladie d'un homme pour expliquer la guerre?

La guerre en Ukraine ravive des traces que Boris Cyrulnik pensait effacées de son esprit. Pour lui, les similitudes sont nombreuses: "les ruines, l'exode, on se demande pourquoi tuer tant de gens pour des raisons qu'on ne comprend pas."

"Toutes les guerres sont déclenchées par des causes stupides. Une fois qu'elle sont déclenchées, les morts et les ruines ne sont plus stupides et, à ce moment-là, on veut régler un problème qu'on a provoqué", lamente-t-il. Mais pour comprendre la guerre, il ne faut pas chercher à comprendre qui est Vladimir Poutine, selon Boris Cyrulnik.

Quand un peuple est en difficulté, il cherche un sauveur. Et ce sauveur peut lui raconter n'importe quoi, le peuple va le suivre et perdre son aptitude à juger

Boris Cyrulnik

"Après la guerre en 1945, j'entendais dire autour de moi: la guerre a éclaté parce qu'Hitler avait une syphilis ou parce qu'il était paranoïaque. Quand j'étais petit, je me demandais: en quoi la syphilis d'un homme pouvait expliquer un phénomène mondial où il y a eu 50 millions de morts? Qu'est-ce que cela a à voir avec un phénomène psychosocial où beaucoup de gens le suivent, l'adorent alors que d'autres s'y opposent et pensent par eux-mêmes?", continue-t-il.

Une confortable servitude

Dans son livre, Boris Cyrulnik explique pourquoi on se soumet à un dictateur: c'est une confortable servitude. "Quand un peuple est en difficulté, il cherche un sauveur. Et ce sauveur peut lui raconter n'importe quoi, le peuple va suivre et perdre son aptitude à juger", explique l'écrivain. Selon lui, notre époque "valorise les discours délirants. On part d'un postulat stupide qui ne repose sur rien et on construit un raisonnement cohérent, coupé de la réalité."

Toutefois, ce n'est pas une fatalité pour Boris Cyrulnik qui pense que "l'école, les artistes, le cinéma, les romanciers, les fabricants d'essais, tous ceux qui posent des questions et invitent à visiter un autre monde mental que celui du chef, du tyran" peuvent aider. "Dès l'instant qu'on se décentre de soi pour visiter un autre monde mental, on ne peut plus tout se permettre, l'autre est un être humain. Ce n'est plus quelqu'un qu'on peut tuer en rigolant", conclut-il.

Propos recueillis par Jennifer Covo

Adaptation web: Andreia Portinha Saraiva

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Des mères en sécurité pour les enfants

"La guerre laisse des traces mais pas forcément de la souffrance chez les enfants", explique Boris Cyrulnik. Cela dépend de la stabilité de leur situation avant la guerre mais également de celle d'après la guerre.

Pour le neuropsychiatre, il est important de suivre, d'entourer et de donner du sens à la vie des enfants ukrainiens pour éviter que la guerre les traumatise. "Pour l'instant, on n'est pas encore dans le sens, on est dans la protection. Le meilleur moyen de sécuriser ces enfants, c'est de sécuriser leur mère. Si une mère est en sécurité, elle sera sécurisante pour son enfant", souligne-t-il.