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En bonne santé, l’économie américaine continue de faire rêver

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fokus : le prix du rêve américain / basik / 11 min. / lundi à 20:10
Le magazine économique Basik a rencontré trois Romands qui ont tenté l'aventure aux Etats-Unis. Trois individus qui vivent chacun à leur manière le rêve américain. Mais qui connaissent aussi l'envers du décor dans un pays où les contrastes sont très forts.

Tout au nord de la Virginie, dans une zone commerciale typique des Etats-Unis, Laurent Ries est un entrepreneur genevois. Il est à la tête d'une rôtisserie qui fait travailler dix personnes 7 jours sur 7. Il est venu il y a 17 ans aux Etats-Unis par amour, marié à une Péruvienne qui avait sa famille dans cet Etat. Un coup de poker! "En Suisse, j'étais technicien en chauffage, je n'avais besoin de rien de plus. Locataire HLM, une vie tranquille, mes vacances… Mais on a pris la décision de venir ici et j'ai tout lâché."

Sans expérience dans la restauration, Laurent repart de zéro. Il reprend un restaurant vétuste et le transforme en affaire rentable.

Au travail 16 heures par jour

"On a commencé, on était trois: un au fourneau, moi à la caisse, une en cuisine. Le soir, on fermait, je sortais les outils et on faisait les réparations jusqu'à minuit, une heure du matin. Et le lendemain, cela recommençait. Du 16 heures par jour. Et ça a été comme ça pendant 10 ans."

Mais tout n'est pas simple pour cette affaire de famille. L'inflation a explosé suite à la pandémie. Elle reste aujourd'hui à plus de 3%. "Quand qu'on est arrivé en 2007, on vendait le poulet à 12,99 dollars, aujourd'hui, on est à 25 dollars."

Et Laurent a un nouveau défi: il doit déménager, car son vieux restaurant va être rasé pour élargir la route. Il va ouvrir son nouvel établissement la boule au ventre, après deux ans d'angoisses: "Ce n'est pas si simple. Au niveau des permis et des autorisations pour ouvrir, il y a une multitude de permis à passer qui sont très longs, très procéduriers."

Je fais mon assurance-vie, mes assurances personnellement, avec des investissements et en cas de coup dur je prévois les fonds nécessaires pour avoir un suivi médical

Laurent Ries, restaurateur

Pour décompresser, Laurent Ries enfourche son VTT. Mais l'an dernier, une fracture de la clavicule lui a coûté 5000 dollars. Suivie quelques mois plus tard d'une hernie. Résultat: 22'000 dollars à payer de sa poche. Car il a fait le choix de ne pas être assuré. "Je suis plus à compter sur moi-même, je fais mon assurance-vie, mes assurances personnellement, avec des investissements et en cas de coup dur je prévois les fonds nécessaires pour avoir un suivi médical."

En se passant d'assurance, Laurent estime avoir économisé "le prix d'un petit appartement aux Etats-Unis, autour des 150'000 dollars".

Une bourse indispensable pour l'université

Dans le Kentucky, sur le campus de l'Université de Campbellsville, la capitaine de l'équipe locale de football féminin est vaudoise. Lina Berrah joue ici depuis trois ans. "Toutes les filles du campus qui font un autre sport ont toutes commencé par jouer au foot. Alors qu'en Suisse, quand j'ai commencé à jouer au foot, j'étais peut-être la seule fille de mon école."

Lina s'entraîne dur tous les jours et étudie en parallèle le management du sport. "J'ai obtenu juste une bourse pour étudiante étrangère, cela ne couvrait que la moitié de mes frais. Après, j'ai terminé ma saison, qui s'est vraiment bien passée. Donc j'ai demandé s'il était possible d'augmenter ma bourse et j'ai obtenu une bourse complète."

Une chance, car l'année d'étude coûte normalement 27'000 dollars dans cette université. "D'après ce que j'entends de certaines Américaines, leurs parents doivent souvent économiser depuis qu'ils sont nés pratiquement pour pouvoir justement payer l'université."

Sa vie sur un campus

Lina a plongé dans cette vie de campus à l'américaine, 24 heures sur 24, elle dort et mange sur place. Entre deux entraînements, Lina doit aussi aller en cours, mais ce n'est pas la seule exigence à l'Université évangélique de Campbellsville. Ici, les étudiants sont tenus d'aller à l'église et ils reçoivent des crédits pour cela.

Sur ce campus, pour obtenir notre Bachelor, on doit aller dans la chapelle et assister 48 fois à des séances hebdomadaires

Lina Berrah, étudiante et footballeuse


"Je ne suis pas religieuse, je me considère comme agnostique. Mais sur ce campus, pour obtenir notre Bachelor, on doit aller dans la chapelle et assister 48 fois à des séances hebdomadaires."

Le Kentucky est en plein cœur de la Bible Belt, la fameuse ceinture de la Bible, une partie du pays très croyante et conservatrice. Et la petite ville de Campbellsville, à deux pas du campus, n'y déroge pas. Ce comté a voté à 75% pour Donald Trump en 2020, Lina l'a très vite compris.

"Une des premières choses quand j'étais en voiture et que je suis arrivée sur le campus, c'était de voir des affiches qui disaient Trump 2024 ou bien 'les vaccins ça ne sert à rien', ou encore l'avortement est l'équivalent d'un meurtre. Je trouve cela triste pour toutes les femmes au Kentucky."

Lina garde toutefois en tête la gentillesse et l'accueil du Kentucky, mais elle n'a pas l'intention de rester aux Etats-Unis après ses études.

Photographe à succès autodidacte

À New York, le magazine Basik a enfin rencontré un photographe de renom atypique. Originaire d'Argovie, d'Italie et de Neuchâtel, Henry Leutwyler s'est fait connaître d'abord dans la presse magazine. Celui qui avait raté le concours à l'école de photographie de Vevey a pris sa revanche en autodidacte. D'abord à Paris, puis à New York.

De Iggy Pop à Martin Scorsese en passant par Denzel Washington, Julia Roberts, Beyoncé ou Rihanna, il a photographié les plus grands.

En Suisse, il n'y a pas de mode, pas de coiffeur, pas de maquilleur, pas de mannequin, pas de magazines. Je vais faire quoi? De la pub pour la Migros?

Henry Leutwyler, photographe

Ce succès, aurait-il pu le connaître en Suisse? Henry Leutwyler répond par la négative: "Ni en 1985 à mon arrivée, ni aujourd'hui. Le marché n'existe pas. Il n'y a pas de mode, pas de coiffeur, pas de maquilleur, pas de mannequin, pas de magazines. Je vais faire quoi? De la pub pour la Migros?"

Notre homme aime les stars et la politique. Mais il y a des photos qu'Henry ne veut plus prendre aujourd'hui: "Quand Trump a été élu, j'ai envoyé un mail à tous mes clients. J'ai dit: 'ayez la gentillesse de ne pas m'appeler, je n'irai plus à la Maison Blanche et je ne photographierai plus des républicains. Du tout!' Et depuis, je ne l'ai plus jamais fait."

Lassé des caprices de stars et de leurs agents, Henry Leutwyler s'intéresse depuis quelques années à leurs objets. "J'ai fait un livre sur Elvis Presley. J'ai passé trois semaines à Memphis en train de photographier tous ses objets. Cela s'est vendu à plus d'un million d'exemplaires ! J'aurais dû demander un dollar par livre, malheureusement je ne l'ai pas fait."

Henry Leutwyler expose aujourd'hui dans le monde entier et on verra bientôt ses clichés en Suisse, à Genève et Vevey. Mais c'est à Soho qu'Henry garde ses habitudes, un quartier où les loyers ont augmenté de 17% en quatre ans. "Les jeunes photographes ne peuvent plus habiter à New York, on ne peut plus avoir un studio photo à Manhattan."

Henry Leutwyler croit toutefois encore au rêve américain: "Parce qu'ici, il n'est pas important de savoir où j'ai étudié, qui je connais. Ce qui est important, c'est de savoir si je livre le travail qu'on demande ou si je ne le livre pas? Tout est possible aux Etats-Unis, mais il faut travailler très très dur."

Gaspard Kühn

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