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Fonds russes: "Il y a quelque chose de pourri en Suisse"

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Home suisse home / basik / 26 min. / le 20 février 2023
Dans une interview accordée au magazine basik, l’homme d’affaires britannique Bill Browder dénonce la lenteur et le manque d’initiative de Berne dans l’application des sanctions occidentales contre les financiers du régime russe.

Ce critique acerbe de Vladimir Poutine, impliqué par ailleurs dans l’affaire dite Magnitsky, explique: "Le système [suisse] ne fonctionne pas pour traquer le blanchiment de l’argent russe. C’est une attitude culturelle. Les Suisses aiment bien qu'on les considère comme neutres, comme ça ils peuvent continuer à gérer l’argent des dictateurs et des kleptocrates. Je crois que c’est aussi de l’incompétence: c'est un petit pays, il n’y a pas forcément les gens nécessaires pour mener des enquêtes de haut niveau."

Affaires tessinoises

Basik a rencontré Bill Browder à Londres, où il dirige un fonds d’investissement spéculatif. Cet entretien a eu lieu dans le cadre d’une enquête de l’émission de la RTS sur l’argent des oligarques russes en Suisse. Ces investigations l’ont notamment mené au Tessin, qui attire depuis une quinzaine d’années des barons de la métallurgie russe.

Parmi eux, Viktor Rashnikov. Au début de la guerre, la fortune de ce proche du Kremlin était de plus de 10 milliards de francs. Il possédait alors trois résidences en Suisse, mais aussi un yacht de 140 mètres à 300 millions, avec pas moins de six piscines à bord. Comme d’autres personnages et sociétés sanctionnés, le groupe MMK détenu par Viktor Rachnikov a dû arrêter toute activité au Tessin.

Alberto Genovesi, fiscaliste installé sur place, siège au conseil d’administration de certaines sociétés suisses du milliardaire originaire de Magnitogorsk. Il critique l’impact des sanctions: "Il ne faut pas oublier que ces entreprises engagent du personnel local, paient des salaires au niveau local, et ces gens et ces entreprises paient aussi des impôts. Cela fait tourner l’économie locale. Pour Lugano, c'est un coup dur dans la mesure où il y a pas mal d’entreprises axées dans le domaine du trading international de matières premières, et ça fait facilement des dizaines de millions d’impôts qui ne seront plus là."

20 fonctionnaires suisses à l'oeuvre

Face aux accusations de lenteur formulées par le banquier britannique Bill Browder, mais aussi par des organisations non gouvernementales comme Public Eye qui a créé un vaste annuaire des oligarques ayant des liens avec la Suisse, basik a sollicité les autorités fédérales.

Après de nombreuses tentatives, un haut fonctionnaire du Secrétariat d’État à l’économie (SECO) a bien voulu répondre. "Au début, on n’avait pas assez de personnel, pas assez de ressources", raconte Erwin Bollinger, chef de la division sanctions au sein de l'administration fédérale. "Grâce aux ressources que l’on a reçues du Conseil fédéral, on a [désormais] autour de 20 personnes qui travaillent pour le SECO sur des questions de sanctions, et leur mise en œuvre. On fait vraiment beaucoup pour saisir l'argent des personnes sous sanctions. Mais encore une fois, pour des personnes qui ne sont pas sous sanctions, on n’a pas la possibilité ni le droit de faire n'importe quoi."

Selon l’Association suisse des banquiers (ASB), les Russes détiendraient aujourd’hui 200 milliards de francs dans le pays. Une grande partie de cet argent serait concernée par les sanctions.

Serge Enderlin

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