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L'équipementier Nike pris en flagrant délit de double langage sur les femmes

Trois joueuses de l'équipe nationale américaine de football sur d'immenses panneaux publicitaires à Los Angeles (mai 2019). [Keystone/epa - Etienne Laurent]
L'équipementier Nike pris en flagrant délit de double langage / Le Journal horaire / 4 min. / le 31 mai 2019
La marque américaine célèbre les femmes dans son dernier spot publicitaire, mais est accusée par plusieurs de ses ambassadrices de pénaliser les sportives voulant fonder une famille. Face aux critiques, Nike a annoncé une modification de sa politique concernant la maternité.

La dernière publicité de Nike, "Dream crazier", rend hommage aux femmes qui ont brisé des barrières par leurs performances ou leur force de caractère. Elle a été dévoilée par Serena Williams – qui en assure la voix off – lors de la dernière cérémonie des Oscars à Los Angeles.

Un texte qui en dit long: "Une femme qui boxait était folle; coacher une équipe de NBA? Une folie; une sportive qui remporte 23 titres du Grand chelem et qui revient après avoir donné naissance à un enfant? Fou, fou, fou et fou. Alors s'ils veulent vous traiter de folle, très bien: montrez-leur de quoi vous êtes capable."

Une publicité émouvante, inspirante, mais qui n'est que du marketing ont clamé plusieurs athlètes de la marque. Des sportives qui ne se sont pas senties soutenues au moment où elles ont annoncé leur volonté de fonder une famille: "Si vous voulez être une athlète et une mère, vous êtes tout simplement folles... Tomber enceinte, c’est le baiser de la mort pour une athlète", voilà ce qu'ont déclaré deux coureuses américaines, Alysia Montaño et Phoebe Wright au New York Times.

La performance avant tout

La marque n'a pas de politique officielle concernant la maternité. Selon une enquête du journal new yorkais, Nike peut réduire – voire geler – pendant plusieurs mois le salaire de ses athlètes en l'absence de performance.

Cette façon de faire a poussé des sportives à courir pendant leur grossesse ou à reprendre la compétition très vite après leur accouchement par crainte de ne plus être payée.

Nike a répondu qu'il avait modifié sa politique depuis 2018; certaines athlètes ont d'ailleurs conservé leur rémunération durant leur pause maternité. Cela été le cas de la joueuse de tennis Serena Williams.

Mais la réponse de Nike n'a pas suffi à calmer les esprits, car l'équipementier a refusé de détailler les changements dans sa politique et n'a pas voulu dire s'il s'engageait contractuellement à ne pas pénaliser les femmes enceintes.

"Des règles écrites par les hommes, pour les hommes"

Le récent témoignage d'Allyson Felix a rendu la position de Nike encore plus délicate. L'athlète féminine la plus médaillée aux Jeux olympiques est devenue maman en décembre 2018.

Allyson Felix (chaussettes bleues) et ses camarades de relais du quatre fois 100 mètres féminin, à Londres, le 12 août 2017. [Keystone/epa - Franck Robishon]
Allyson Felix (chaussettes bleues) et ses camarades de relais du quatre fois 100 mètres féminin, à Londres, le 12 août 2017. [Keystone/epa - Franck Robishon]

Elle a voulu négocier avec la marque la garantie de ne pas être pénalisée pour manque de performance les mois suivant son accouchement. Son objectif était d'établir un précédent: "J'ai fait beaucoup de promotion pour Nike. Ils ont utilisé mon image pour leurs magasins, pour de nombreuses campagnes de pub, mais je suis aussi une mère et je ne peux plus rester silencieuse", a clamé la sportive.

"Je veux des mesures de protection autour de la maternité. Je veux voir des changements et pas seulement en entendre parler. Il y a juste une semaine, j'ai demandé des mesures de protection autour de la maternité. Et la réponse a été 'NON'," a révélé la jeune femme de 33 ans.

Allyson Felix a regretté, qu'une fois encore, "dans le secteur du sport, les règles soient écrites par les hommes pour des hommes".

La marque obligée de se remettre en question

Nike, par la voix d'Amy Montagne, une de ses vice-présidente, a expliqué que le témoignage d'Allyson Felix "l'a obligé à se remettre en question". Elle s'est engagée à supprimer la clause qui lui permettait durant 12 mois de conditionner la rémunération des athlètes enceintes au niveau de leurs performances. C'est "une opportunité pour toute l'industrie du sport de faire évoluer le statut des femmes", a encore déclaré la marque.

Phoebe Wright en train de courir le 800 mètres féminin à Istanbul en mars 2012. [Reuters - Murad Sezer]
Phoebe Wright en train de courir le 800 mètres féminin à Istanbul en mars 2012. [Reuters - Murad Sezer]

Sur les réseaux sociaux, des athlètes ont remercié leurs sponsors de se montrer plus conciliants que la marque à la virgule, mais ceux-ci ne se bousculent pas au portillon pour exposer leur propre politique par rapport à la maternité. Ou en tout cas, pas encore.

Une tournure politique

Car cette histoire pourrait prendre une tournure politique aux Etats-Unis puisque deux membres du Congrès américain, après le témoignage d'Allyson Felix, ont demandé des précisions à Nike.

Les deux politiciennes veulent savoir combien de fois l'équipementier a réduit ses paiements aux athlètes enceintes et s'il offre ou non des protections durant une grossesse.

Du fossé qu'il y a parfois entre le dire et le faire: ou comment passer du "Just say it" au "Just do it"...

Sujet radio: Caroline Reymond

Adaptation web: Stéphanie Jaquet

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