"Tanis" et "Thônis" peuvent à priori sembler similaires à nos oreilles, mais il s’agit en réalité de la manière grecque d’écrire les noms de deux villes bien distinctes de l’Égypte ancienne: Tanis, en égyptien Djanet, était située au nord-est du Delta du Nil, tandis que Thônis, en égyptien Ta-henet, était une ville située au nord-ouest du Delta du Nil, non loin d’Alexandrie.

Thônis ou Ta-henet (le nom signifie "la (ville) du lac", près de l’actuelle Aboukir) était un poste douanier et une place portuaire qui contrôlait presque tout le trafic maritime des navires entrant ou sortant de l’Égypte entre le VIII siècle et le II siècle av. J.-C. Elle perdit de son importance d’abord avec la fondation d’Alexandrie, et ensuite avec la conquête de l’Égypte par les Romains. Son emplacement exact finit par être oublié, jusqu’à ce qu’une campagne de prospection sous-marine menée dès 1996 par Frank Goddio et l’IEASM (Institut Européen d’Archéologie Sous-Marine) ne permette, entre 1999 et 2000, d’identifier ses ruines et ses monuments qui étaient submergés sous les eaux à plus de 6 km de la côte. Grâce à l’étude de certaines inscriptions bilingues grecques-égyptiennes ainsi découvertes, on a enfin compris que les ruines en question étaient celles de la cité appelée Héracléion par les Grecs – en référence à un sanctuaire à cet endroit du dieu égyptien Khonsou, identifié à Héraclès –, et que la même cité était appelée Thônis/Ta-henet par les Égyptiens. La page web de l’IEASM https://ieasm.institute/egypt.php, permet d’accéder à de nombreux articles pour en savoir plus sur cette ville.

La cité de Tanis ou Djanet (aujourd’hui Sân el-Hagar, en arabe), quant à elle, est plus ancienne. Il s’agissait au départ d’une localité mineure du nord-est du Delta, qui fut ensuite choisie pour devenir la capitale politique de l’Égypte sous les premiers pharaons de la XXI dynastie égyptienne, notamment Psousennès I (1039-991 av. J.-C.). La ville continua de bénéficier d’une certaine importance jusqu’à la fin de l’Antiquité tardive. Ensuite, dans le courant du premier millénaire de notre ère, l’assèchement de la branche du Nil sur laquelle la cité était installée entraîna son abandon. Ses ruines tombèrent peu à peu dans l’oubli, avant d’être redécouverte par les savants de l’Expédition d’Égypte menée par Napoléon, puis par d’autres archéologues aux XIX et XX siècles. C’est en particulier dès 1929, grâce à une campagne de fouilles menées par l’égyptologue français Pierre Montet, que le site de Tanis est identifié de manière certaine. Dès 1939, au début de la Seconde guerre mondiale, Montet y découvre notamment les tombes inviolées de plusieurs rois et de princes des XXI et XXII dynasties, riches de trésors magnifiques. Aujourd’hui, des fouilles y sont toujours menées par des équipes de chercheurs français (https://www.ifao.egnet.net/recherche/archeologie/tanis/).

Tanis entretient effectivement un lien particulier avec les récits bibliques, et ce lien a servi de base au scénario du film Indiana Jones et les aventuriers de l’arche perdue (1981), ainsi que ma collègue Annik Wüthrich l’avait déjà expliqué en 2008 pour le Forum RTS Découverte (https://www.rts.ch/decouverte/monde-et-societe/histoire/4644387-le-site-egyptien-de-tanis-dans-indiana-jones-et-larche-dalliance-atil-existe-et-estce-quil-a-ete-fouille-a-cette-epoque.html). Pour comprendre de quel lien il s’agit, il faut rappeler qu’on peut lire dans la Bible (2 Chroniques 12.1-16 et 1 Rois 14.25-26) le récit de l’invasion du royaume de Juda par un certain pharaon Shishak. Ce dernier aurait entièrement pillé la ville de Jérusalem, emportant avec lui absolument tous les trésors qui étaient conservés dans la « maison de l’Éternel » (le Temple de Jérusalem). L’Arche d’Alliance contenant les tables de la Loi confiées par Dieu à Moïse était réputée être abritée dans le Temple, d’où l’idée qu’elle aurait fait partie du butin dérobé par ce pharaon. En réalité, toutefois, la Bible ne mentionne pas explicitement que l’Arche faisait partie des trésors ainsi pillés, et aucune preuve ne permet par ailleurs de confirmer que cet artefact a réellement existé.

Aujourd’hui, on pense que le Shishak biblique fait sans doute référence au pharaon Shéshonq I de la XXII dynastie (943-922), dont la capitale était encore basée à Tanis et qui avait justement mené plusieurs campagnes militaires dans l’ancienne Palestine (l’une d’entre elles est commémorée par une inscription datant de 925-924 av. J.-C. dans le temple de Karnak en Égypte). Mais là encore, aucune preuve archéologique ou historique ne permet d’attester que Shéshonq I aurait capturé et pillé la ville de Jérusalem, et encore moins qu’il aurait emporté avec lui l’Arche d’Alliance pour la cacher à Tanis. C’est néanmoins cette théorie qui est utilisée dans le film Indiana Jones et les aventuriers de l’arche perdue, mettant en scène la découverte de l’Arche à Tanis en 1936 par une équipe d’archéologues nazis.

Tanis et Thônis sont donc deux cités tout à fait différentes. Mais votre question m’a intrigué et m’a poussé à chercher plus loin dans quelle mesure l’une aurait autrefois été pu être prise pour l’autre. En l’occurrence, c’est précisément ce qui advient dans un roman fantastique paru en 1890, The World’s Desire (https://gutenberg.org/ebooks/2763), co-écrit par l’écrivain Henry Rider Haggard et l’anthropologue/folkloriste Andrew Lang. L’histoire consiste en une suite de l’Odyssée dans laquelle Ulysse (seulement appelé the Wanderer, "l’Errant"), fou de chagrin après avoir perdu son royaume et son épouse Pénélope, part sur les traces d’Hélène de Troie qu’une vision lui a dit de chercher en Égypte à Tanis, dans un sanctuaire consacré à Héraclès. Or les auteurs confondent ici (à dessein?) les deux villes. D’un côté Tanis, dont l’archéologue William Flinders Petrie venait d’identifier l'emplacement après y avoir conduit des fouilles en 1883-1886 (Rider Haggard et Lang mentionnent les découvertes de Petrie dans l’introduction au roman). De l’autre Thônis/Héracléopolis, dont l’emplacement était alors encore inconnu mais où une tradition grecque antique voulait qu’Hélène de Troie se soit réfugiée dans un sanctuaire d’Héraclès (par exemple Hérodote II, 113-115). Le roman mêle par ailleurs légendes grecques, histoire égyptienne et récits de l’Exode hébreu. À Tanis, Ulysse fait la rencontre du pharaon Meneptah (Merenptah), qu’un conflit oppose au peuple esclave des "Apura" (les Hébreux), à leur dieu Jahveh (Yahwé) et à deux prophètes dans lequel le lecteur reconnaît Moïse et Aaron. Il découvre également une étrange et terrible déesse de l’amour qui exerce sa séduction sur le monde entier (The World’s Desire), et qui se révèle n’être autre qu’Hélène de Troie.

Ce mélange entre Thônis et Tanis dans l’œuvre de H. Rider Haggard pourrait n’être qu'anecdotique. Mais il faut tout de même rappeler que cet auteur est également célèbre pour avoir imaginé les exploits de l’aventurier Allan Quatermain (dans le roman Les mines du roi Salomon, et d’autres), qui se trouve être le modèle principal sur lequel est construit le personnage d’Indiana Jones. Votre question nous aura donc permis de trouver le moyen de tisser quelques liens entre Thônis, Tanis, la Bible, H. Rider Haggard et les aventuriers de l’Arche perdue.