La découverte et la maîtrise du feu est peut-être la découverte la plus extraordinaire de l’histoire de l’homme. Le foyer, au feu régulièrement entretenu, est en effet ce qu’il y a de plus important dans ce que l’on nomme l’espace domestique, ce lieu plus où moins permanent où l’on revient pour pratiquer diverses activités techniques, préparer à manger et dormir à l’abri du danger et des intempéries. Cela est si vrai que le terme « feu » au Moyen-âge, puis « foyer » aujourd’hui, sont utilisés pour désigner la famille. Cet espace regroupe un ou plusieurs homme(s), une ou plusieurs femme(s) et des enfants réunis par des liens sociaux forts, le plus souvent une famille plus ou moins nombreuse. On peut s’y adonner à différentes activités en toute sécurité, y étant protégé contre les intempéries, les bêtes sauvages et les ennemis. Il s'agit d'un lieu de sécurité. On y prépare et consomme les repas quotidiens. La nourriture produite ou collectée par les divers membres de la communauté y est apportée et rassemblée pour y être préparée, partagée entre les différents membres de la petite communauté et consommée. Dans les sociétés non industrielles, il s’agit souvent d’un espace de travail. On y fabrique et on y utilise des objets nécessaires à la vie de tous les jours. C’est un espace de repos et de récupération des forces. On y trouve les conditions d’une certaine intimité par rapport aux autres membres de la collectivité. Cet espace permet également d’élever les enfants les plus jeunes en toute sécurité.

Cet espace domestique organisé autour d’un feu régulièrement entretenu n’a pas toujours existé. Nos ancêtres les plus lointains n’avaient pas d’espaces domestiques stables et devaient probablement dormir dans les arbres pour ne pas être dévorés par les fauves. Leur vie sociale était donc très différente de la nôtre.

Il y a 2,7 à 1,5 millions d’années, nos plus lointains ancêtres nommés par les paléontologues Homo habilis vivaient en Afrique de l’Est dans les forêts bordant les cours d’eau. Ils ne connaissaient pas le feu. Les traces laissées par leurs activités sont des concentrations de pierres taillées utilisées pour découper la viande et d’os animaux provenant de carcasses d’animaux morts, qu’ils disputaient aux lions et aux hyènes. Ces sites semblent avoir été fréquentés épisodiquement pendant la journée, sur des périodes de 5 à 10 ans, avant d’être définitivement abandonnés. La nuit tombée, les branches des arbres offraient des refuges plus sûrs contre les fauves.

Par la suite la situation que l’on observe dans les mêmes régions ne change guère. On identifie pourtant à quelque distance des lieux de vie des endroits particuliers où l’on a taillé des outils de pierres utilisés pour découper la viande et des lieux où l’on pouvait rassembler provisoirement les carcasses d’animaux trouvées dans la savane. Une nouvelle particularité des sites d'occupation principaux concerne par contre la présence éventuelle du feu. Aucun vrai foyer contenant des charbons de bois n'a jamais été découvert à une époque aussi ancienne. Il est pourtant possible de déceler les traces d'un éventuel feu qui n'aurait pas laissé de traces charbonneuses en recourant à des tests géophysiques portant sur les transformations magnétiques des sols soumis à l'action d'une chaleur intense. Un site des rives du lac Turkana au Kenya daté de 1 million d’années, porte de telles traces, mais ces observations ont été contestées.

Nos ancêtres de cette époque ont peut-être observé que les feux naturels allumés dans la brousse par la foudre faisaient fuir les animaux et que l’on pouvait récolter sur le sol des branches mortes enflammées après le passage d’un incendie. Il était alors possible de ramener ces brandons sur les lieux de vie pour se protéger des lions et des hyènes pendant la nuit. Si on pouvait peut-être entretenir les flammes en ajoutant du bois, il est probable qu’on ne savait pas alors produire le feu, ni le conserver sur de longues périodes. Ces régions tropicales sont connues pour leurs pluies très violentes et il n’existait pas encore à cette époque d’abris construits étanches. Cette absence de peur devant les flammes est quelque chose de nouveau dans l’évolution des mammifères, dont fait partie l’homme.

L’utilisation du feu devient incontestable à la période suivante où vit Homo erectus, mais elle reste très rare. Le feu n’est pas systématiquement utilisé et continue à n’être que collecté de façon épisodique. A Melka Kunturé en Ethiopie un site présente, vers 400.000 ans, des trous pour y planter des piquets en relation avec une hutte construite. Les archéologues y ont découvert de très nombreux petits blocs d'argile devenus rouges au contact du feu et des pierres brûlées, dont l'analyse a démontré qu'elles devaient provenir d'un foyer dont la température atteignait quelques 300°. Ce feu assurait la protection nocturne. Il n’est pas possible de savoir s’il était également utilisé pour cuire la viande.

Ces informations peuvent être complétées par des observations faites en Europe et en Asie, des continents qui sont désormais occupés par nos ancêtres il y a 500.000 à 300.000 ans. A Choukoutien en Chine, des ossements carbonisés, associés à des outils de pierres, témoignent de la présence du feu il y a 500.000 ans d'années. Ailleurs, à des périodes légèrement plus récentes, les foyers ne sont plus seulement des concentrations de cendres et de charbons de bois, mais sont bordés de temps à autre de pierres comme à Solana del Zamborino en Espagne et à Lunel-Viel en France. En Allemagne, on a découvert à Bilzinsleben les traces de petites huttes ovales et rondes à l’entrée desquelles se trouvaient des foyers. On peut imaginer sur ces sites, un feu régulièrement entretenu pour qu’il ne s’éteigne pas.

En Europe, l’utilisation du feu devient systématique à partir des hommes de Néandertal les plus évolués il y a 135.000 ans. Les vestiges montrent que nos ancêtres s’abritaient alors dans des huttes ou occupaient des porches de grottes qui constituaient de vrais espaces domestiques. Le feu assurait toujours la protection nocturne et procurait la chaleur nécessaire pendant les périodes hivernales ; il permettait probablement également de cuire la viande et de durcir le bois utilisé dans la confection des lances utilisées pour la chasse. On ignore par contre toujours si on savait le produire. Il est possible de fabriquer du feu en frottant deux bois ou en faisant pivoter une baquette dans une dépression creusée dans une petit planchette. Malheureusement ce matériau ne se conserve habituellement pas.

Avec l’apparition, il y 35.000 ans, de notre espèce, Homo sapiens sapiens, qui occupe désormais l’ensemble de la planète, toutes les caractéristiques de l’espace domestique sont désormais présentes. Le feu est produit, notamment en percutant de petits blocs de pyrite, un sulfure de fer naturel, et probablement aussi à l’aide de forets à feu en bois. Le feu est utilisé dans une large gamme d’activités, chauffage, éclairage, cuisson de la nourriture, chauffage du silex pour en faciliter la taille., etc. Les formes des foyers se diversifient. Des foyers régulièrement entretenus sont aménagés dans les huttes, mais également à l’extérieur pour certaines activités techniques ou pour se réunir entre familles.

Beaucoup plus tard, le feu, désormais domestiqué, servira à cuire la poterie, puis à fondre le métal.