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"Faire paysan", la campagne de l'écrivain vaudois Blaise Hofmann

L'écrivain Blaise Hofmann. [DR - Roman Lusser]
Entretien avec Blaise Hofmann, auteur de "Faire paysan" / QWERTZ / 37 min. / le 8 mars 2023
A l’intersection entre reportage, témoignage et manifeste, Blaise Hofmann interroge notre relation aux hommes et femmes de la terre, et cherche avec ce nouvel ouvrage baptisé "Faire paysan" à installer un dialogue entre ville et campagne.

"Il fut un temps - pas si lointain - où l’agriculteur se présentait par son contingent, le nombre de litres de lait produits par année. On devait avoir du bétail pour se dire paysan", peut-on lire dès les premières pages de "Faire paysan". Blaise Hofmann en témoigne, lui dont la famille bernoise a émigré dans le canton de Vaud, à Villars-sous-Yens en 1937. Il se souvient de son enfance lorsque le tas de fumier de son grand-père était alors le plus beau, le mieux rangé du village: "un véritable fumier 'à la bernoise', avec quatre faces bien droites, régulières, irréprochables."

C’est à partir de cet élément nourricier, étape-clé d’une agriculture liée à l’exploitation bovine qui fait l’identité de la Suisse, que Blaise Hofmann entame son voyage, dans un projet né en 2021, durant le confinement, lorsque le peuple suisse est invité à se prononcer sur la double initiative s’attaquant aux produits phytosanitaires. Rarement le clivage entre paysans et citadins n’aura été aussi prononcé, exacerbé par les réseaux sociaux et l’absence de dialogue. Comment, dans l’opinion publique, le "paysan" est-il passé du statut de véritable héros national d’après-guerre, à celui de "fossoyeur de la biodiversité"?

Pour comprendre, il faut remonter le temps: jusqu’en 1940 par exemple, et l’instauration du "Plan Wahlen", qui vise l’autosuffisance alimentaire et qui fait entrer le paysan dans un âge d’or. Quarante-cinq ans plus tard, en 1996, l’agriculture suisse cesse d’être inspirée par l’économie de guerre. Elle n’est plus là uniquement pour nourrir, mais surtout pour entretenir un paysage rural, et sera financée désormais par le système des paiements directs.

En moyenne, chaque contribuable suisse a versé 560 francs pour soutenir le monde agricole en 2021! N’est-ce pas injuste de payer doublement sa nourriture, par ses impôts et au supermarché?

Blaise Hofmann, "Faire paysan"

Diviser pour mieux régner

Couverture du livre "Faire paysan" de Blaise Hofmann. [Editions Zoé]

Réconcilier deux mondes qui s’opposent trop souvent doit passer par une compréhension économique. Ainsi, Blaise Hofmann interpelle ceux qui sont peut-être les vrais agents de la division: entreprises phytosanitaires (Syngenta, BASF, Bayer, etc…), gros distributeurs (Coop et Migros, qui se partagent 77% de la consommation globale), et la Fédération nationale des coopératives (Fenaco), moins connue du grand public mais qui "contrôle la moitié du marché national des céréales, des pommes de terre, et les deux tiers des oléagineux". C’est elle aussi qui, entre autres, possède Landi. Une activité à 360° qui lui permet à la fois d’acheter leur production aux agriculteurs, mais aussi de la leur revendre sous forme de matériel et de semences dans un modèle "d’intégration verticale".

Loin de sombrer dans un romantisme nostalgique du "paysan d’autrefois", Blaise Hofmann, qui déclare "avoir les fesses assises entre une chaise et un botte-cul", et avoir une sensibilité paysanne, invite son lectorat à se faire consommateur éclairé en expliquant notamment comment les pommes de terre sont traitées chimiquement pour raffermir leur peau et faciliter leur conditionnement. "C’est moi aussi qui impose l’usage d’anti-germinatifs - ajoute-t-il - car je n’achèterais jamais de tubercules couverts de végétation."

Où sont les femmes?

Les paysannes occupent un chapitre bienvenu dans le livre: grandes absentes du monde agricole pendant longtemps, elles ont encore bien des combats à mener, puisqu’en 2022, "seul un tiers des femmes d’agriculteurs touchent un revenu: un salaire versé par le mari ou un partage des gains en tant que co-exploitante." Malgré une charge de travail équivalente à celle des hommes, elles ne sont, la plupart du temps, pas propriétaires et leur rôle se résume à celui, bien ingrat, de bénévole.

Pourtant, les choses changent, se réjouit Blaise Hofmann qui veut conclure son ouvrage sur des jours meilleurs, tout en rendant hommage à ces actrices et acteurs silencieux, soumis obligatoirement au cycle naturel des choses, alors que le monde s’accélère. En restituant les points de vue, on peut peut-être réconcilier deux univers, et reconsidérer les paysannes et paysans comme "les seules 'gens' du pays, les propriétaires du paysage".

Ellen Ichters/aq

Blaise Hofmann, "Faire paysan", éditions Zoé.

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