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Stéphane Bohli, ou un tennisman dans un "autre monde"

Stéphane Bohli [Georgios Kefalas]
Stéphane Bohli raconte les "dessous" du tennis. - [Georgios Kefalas]
Dans le tennis, il y a le monde de Roger Federer, celui des "riches", mais aussi celui de plus nombreux joueurs, comme Stéphane Bohli. Ces gars-là se démènent sur le front des Challengers, histoire de rendre leur vie meilleure.

Alors que Roger Federer et les sept autres meilleurs joueurs de la planète se battent à Londres pour des millions et un officieux titre de champion du monde, d'autres, comme Stéphane Bohli (27 ans, ATP 120) se démènent sur le Circuit Challenger, et souvent jusque très tard dans la saison. Juste pour pouvoir vivre et pour espérer vivre un jour, pourquoi pas, une meilleure vie "tennistique".

Entre les "riches" de l'ATP et les autres, il y a un souvent un monde d'écart. Financièrement surtout. Quand on n'a pas le compte en banque de Federer, il est autrement plus difficile d'organiser sa saison sur le Circuit... Comment on s'organise avec les voyages, les hôtels ou encore son entraîneur, le Genevois établi sur Vaud raconte certaines ficelles de la profession.

tsrsport.ch: Au tennis, on parle très souvent des Circuits ATP ou WTA, mais que très rarement du Circuit Challenger, sur lequel vous jouez principalement. Quelles sont les principales différences?

STEPHANE BOHLI: L'argent et les points ATP, tout d'abord. Si on prend l'exemple des Swiss Indoors, à Bâle, il suffit de passer un tour pour gagner autant qu'en demi-finale d'un Challenger. Le niveau, lui, reste quand même assez élevé. Des joueurs classés autour de la 60e place ATP fréquentent aussi souvent les Challengers, pourtant bien moins médiatisés. Les gens ne comprennent pas toujours à quel point il est difficile de passer ce cap, pour intégrer le Circuit ATP.

"Quand tu es dans le top-80, c'est plus facile d'y rester"

tsrsport.ch: On a l'impression que certains joueurs restent très longtemps sur le Circuit Challenger, peinent à passer ce cap. Ils ne sont pas assez bons?

STEPHANE BOHLI: C'est souvent aussi une histoire de chance. Dans mon cas, je me suis blessé au genou cet été alors que j'étais dans une période avec aucun point à défendre. Chaque match gagné m'aurait rapproché du top-100... On a vu Marco Chiudinelli en 2009, qui était 110 ou 115 avant Bâle et qui, grâce à sa demi-finale, est passé 65e ou 70e! Tout peut aller très vite, mais il est vrai aussi que des joueurs stagnent. Je fais partie de ceux qui attendent leur envol. Le plus dur, c'est de passer d'un 120e rang ATP à 80. Après, c'est plus facile d'y rester, car tu joues de plus gros tournois. Tu n'as alors plus besoin de faire des demi-finales ou des finales pour avancer. De temps en temps, suivant les tournois, 1-2 tours suffisent pour gagner 10 places au classement. Ce n'est pas évident, c'est sûr. Le mental doit suivre aussi.

tsrsport.ch: Il se dit que le joueur qui est dans le top-100 se voit tout offrir, alors que celui qui est classé au-delà doit tout payer de sa poche, juste?

STEPHANE BOHLI: Non non, c'est faux! Ce sont les joueurs qui sont dans les 20-30 qui peuvent obtenir des garanties, financières surtout. Ils vont parfois peut-être demander un peu moins d'argent, mais en revanche qu'on leur paie leur billet d'avion, ou qu'on leur prenne 3-4 chambres d'hôtel pour des amis, etc. En fait, c'est au joueur de s'arranger avec le directeur du tournoi. Cette barre des 100 meilleurs, elle te permet "juste" d'entrer dans le tableau principal des Grands Chelems, sans passer par les qualifications.

"Certains Challengers sont mieux organisés que des tournois ATP"

tsrsport.ch: L'hôtel, lui, est donc payé par l'organisation du tournoi?

STEPHANE BOHLI: Oui, et la règle est la même sur l'ATP qu'en Challenger. Généralement, les joueurs arrivent sur un tournoi le samedi, et les cinq premières nuits sont payées par le tournoi. Jusqu'au mercredi soir, c'est donc payé. Ensuite, effectivement, le tournoi offre encore la nuit suivant ton élimination. Après, il est clair que la classe des hôtels n'est pas la même sur l'ATP qu'en Challenger, mais comme je le dis souvent, il y a parfois des "petits" tournois qui sont mieux organisés que certains sur l'ATP! L'image qu'on a des Challengers est parfois un peu fausse, selon moi. Je vous assure que j'ai passé de très belles semaines, et même tout aussi bien sur le Circuit ATP!

La vie de Bohli comporte de beaux côtés, comme ici avec Xenia Tchoumitcheva à Gstaad. [Keystone - Peter Schneider]
La vie de Bohli comporte de beaux côtés, comme ici avec Xenia Tchoumitcheva à Gstaad. [Keystone - Peter Schneider]

tsrsport.ch:

Mais concrètement, que rapporte la victoire dans un tournoi Challenger?

STEPHANE BOHLI: Entre 15 et 18'000 euros, au maximum.

tsrsport.ch: Et un entraîneur, est-il payé selon les résultats obtenus?

STEPHANE BOHLI: Mon entraîneur, Olivier Bourquin, il a un boulot en plus de notre collaboration. On a un deal entre nous pour les semaines où il m'accompagne, mais il est payé la même chose que je gagne ou je perde au 1er tour. Comme on ne se voit pas chaque semaine, il n'a pas un salaire annuel. Pour ce qui est des autres joueurs, certains sont dans des académies et paient au mois, d'autres, comme les Français, travaillent avec la Fédération et versent donc un pourcentage de leurs gains. En Allemagne, on partage même parfois les entraîneurs... Pour l'hôtel du coach, tout dépend également des joueurs. Moi, avec le mien, on se connaît bien et on partage généralement notre chambre.

"Etre no4 en Suisse dans mon sport, ça aide"

tsrsport.ch: Donc, est-il possible de vivre du tennis dans le monde des Challengers?

STEPHANE BOHLI: Je connais des gens qui gagnent 20-25'000 francs par mois et qui n'arrivent rien à mettre de côté, alors que d'autres en gagnent 8000 et mettent 3000 francs de côté! En ce qui me concerne, un ami proche de la famille m'a donné une 2e chance il y a 3 ans, alors que je voulais tout plaquer. Son aide financière du début s'est ensuite transformée en conseils sur la façon dont je dois gérer mon argent. Et si mon argent est bien géré, j'arrive à bien en vivre. J'ai maintenant aussi plein de petits sponsors qui m'aident à payer des entraîneurs et des ostéopathes et à les emmener le plus souvent possible avec moi. Il est clair que sans cette aide, je ne pourrais pas voyager autant avec ces personnes. Il est clair que d'être no4 en Suisse dans mon sport, ça aide aussi à trouver des financements. Si je l'étais en Espagne ou en France, où personne ne s'intéresse au no4, ce serait plus dur.

Pour résumer, on se demande donc parfois à quoi bon payer très cher pour aller disputer des qualifications à l'Open d'Australie pour sortir après un seul match... L'année passée, j'ai fini ma saison le 5 décembre. Ca me laissait 4-5 jours de vacances avant de faire une préparation de 3-4 semaines avant d'aller en Australie. Il faut ensuite compter 3 semaines, avec un coach ou un ostéo, et un budget de 20'000 francs minimum. Sans compter la fatigue de la longue saison d'avant! C'est donc un risque que je n'ai pas pris.

tsrsport.ch: A votre stade, est-ce plus un plaisir qu'un gagne-pain?

STEPHANE BOHLI: Les deux, forcément. C'est mon métier, donc il faut bien que je gagne ma vie! Mais j'ai aussi la chance d'avoir des sponsors que d'autres n'ont pas. Je suis donc relax à ce sujet.

"Roger Federer a ce qu'il mérite"

tsrsport.ch: Quand vous comparez ce qu'a gagné Roger Federer (réd: 58 mio de dollars) en tournois dans sa carrière par rapport à votre prize-money (470'000), ça vous inspire quoi?

STEPHANE BOHLI: C'est le meilleur joueur de tous les temps, c'est donc presque "normal". Ce qu'il fait sur un court, tout le monde le sait. Mais moi j'ai la chance de le connaître depuis une bonne dizaine d'année, et en dehors des courts, c'est une "crème". Ce n'est pas pour rien qu'il est autant aimé sur toute la planète. A mon avis, il a ce qu'il mérite!

En tant que no4 national, Stéphane Bohli est souvent convoqué pour la Coupe Davis. [Keystone - Karl Mathis]
En tant que no4 national, Stéphane Bohli est souvent convoqué pour la Coupe Davis. [Keystone - Karl Mathis]

tsrsport.ch:

Peut-on imager ça de la sorte: il y a un monde d'écart entre les "riches" de l'ATP et les "morts de faim" qui disputent les Challengers?

STEPHANE BOHLI: Oui oui, l'écart est énorme! En Challenger, on sent d'ailleurs que tout le monde a faim, a envie de jouer des plus gros tournois. On ne joue pas au tennis pour jouer des Challengers toute l'année, quand même! Certes, parfois on joue devant 3000 spectateurs, mais il arrive aussi qu'on joue devant 20 personnes car on est au milieu de nulle part! Tout le monde a donc plus faim pour vivre une meilleure vie.

tsrsport.ch: Choisissez-vous donc les endroits où vous disputez vos tournois?

STEPHANE BOHLI: Oui, car j'aime jouer dans des endroits où je me sens bien. Entre 20 et 23 ans, j'ai beaucoup voyagé en Ukraine, Russie, Ouzbékistan ou encore Inde pour disputer des tournois un peu moins relevés et prendre des points. Mais on mange mal, on dort mal et on est mal logé. Ce qui fait qu'on joue moins bien aussi! Cette période, c'est donc terminé pour moi.

Propos recueillis par Daniel Burkhalter

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Stéphane Bohli express

Plat préféré: les sushis.

Lieu de vacances favori: Zermatt. On a l'avantage de voir la plage presque toute l'année, alors j'aime bien me retrouver à la montagne.

Série/film préférés: 24h chrono et sinon les films avec Denzel Washington.

Musique favorite: Je suis un grand fan de U2. Sinon Pearl Jam ou Kings of Leon, tout ce qui est très rock.

Plus grande qualité: simplicité et honnêteté.

Plus grand défaut: impatience.

Personne la plus connue de votre répertoire téléphonique: Roger Federer.

Des copains sur le Circuits? J'ai 2-3 potes, comme Gilles Müller, Steve Darcis ou encore Philipp Petzschner, des gars de ma génération. Mais on n'établit pas nos calendriers ensemble!

Un adversaire que vous détestez: Certains conviennent mieux que d'autres à ton jeu. Un gars comme Fabrice Santoro, que j'ai affronté 1-2 fois, me faisait particulièrement très mal jouer! Sinon, il y a ce Daniel Köllerer, qui est peu apprécié. Mais il a toujours été sympa avec moi. Bon, je ne l'ai jamais joué!